Les cris. Les rires. Les larmes. Le temps n'était plus à la tristesse, mais aux réjouissances. Dans les rues de la capitale mécanique, au travers de cette jungle d'acier, les cœurs des habitants battaient à l'unisson. " Victoire ! ", " C'est enfin terminé !", du bonheur, de la satisfaction, un sentiment de bien-être commun. Oui, la guerre était terminée ! Enfin. Après tant de morts, après tant de batailles. Oui. L'île allait enfin, après tant d'années, retrouver un calme qu'il n'avait plus eu depuis tant de temps. Certains parents retrouvaient leurs enfants en vie, d'autres pleuraient leurs morts, tout en étant fiers qu'ils aient marqués de leur sang cette page blanche qui marquait la fin d'un chapitre, et le début d'un autre.
Mais là où les civils vivaient un moment d'exaltation dans les rues, d'autres, eux, vivaient des moments bien plus sombres. Dans une base militaire, non loin de là, revenait l'un des engins de mort qui fut à l'origine de cette victoire : un Rüstung. Ce dernier était enfermé, enchevêtré dans une camisole de tissu et de fer, sa bouche de métal maintenue fermée par une muselière fermement attachée. Rien ne pouvait affirmer que cette machine était allumée, vivante : elle ne bougeait pas, aucun bruit n'attirait son attention. Elle restait là, passive, attendant son heure, entre quatre murs de tôles formant le hangar dans lequel elle reposait.
Quelques mètres plus loin, près de l'entrée entrouverte du bâtiment, se trouvait son Operator, qui discutait avec des gardes. L'homme était habillé de la tenue militaire de circonstance, d'un marron foncé, avec en originalité une longue manche d'un rouge écarlate, qui personnifiait sa position dans la guerre, celle de Partenaire de Rüstung. C'était avec ce bras, avec cette main, qu'il pouvait activer les différents systèmes de son arme humaine. À l'extérieur de la base, un brouhaha se faisait entendre, rythmé par les pas fuyants de soldats comme une batterie rythmant une musique entraînante. C'est à ce moment que l'Operator, accompagné des autres hommes, entrèrent dans le hangar.
« T'as de la chance, William. La guerre est terminée, et avec le boulot que tu as fait, tu es sûr d'être vernie jusqu'à la fin de ta vie. » Commença celui qui semblait être le plus haut gradé, sans regarder le dénommer William, qui se trouvait être l'Operator. Plutôt, il se détourna de lui, s'approchant de l'immense bête de métal immobile.
« Ce n'est pas seulement moi. Colt a autant, si ce n'est plus, participé à cette guerre. » Lança William, d'une voix légèrement cassante, observant le gradé glisser son regard sur le Rüstung.
« Oh, il est vrai que c'est une belle arme. Vous, les Operator, prenez soin de vos affaires, il est vrai. D'ailleurs, nous avons eu nos directives, quant au futur des Sur Améliorés Rüstung. »À cette annonce, William releva subitement la tête, un léger sourire se dessinant sur ses fines lèvres. Croisant les bras, il laissa son dos se poser contre un pilier qui retenait le toit de la bâtisse de métal, relativement satisfait par cette annonce. Mais, il ne disait rien. Le gradé fut d'ailleurs étonné de son manque de réaction, surtout au vu de la nouvelle qu'il s'apprêtait à annoncer. C'était grand, et en vérité, il se doutait que l'Operator était déjà au courant du sort réservé à son arme.
« La liberté. Les Rüstung peuvent faire ce qu'ils désirent. Quitter l'île et braver Grand Line du mieux qu'ils peuvent, devenir des citoyens d'Alderson, voir même rester ici en tant qu'armes pour le glorieux gouvernement. Alors, quel est ton choix, Colt ? »... Aucune réponse. L'immense être de métal, même appelé par son nom, ne fit rien. Pas un bruit ne s'échappa de son épaisse gueule de fer, pas un seul de ses muscles d'acier ne vibra devant l'annonce de cette liberté offerte sur un plateau d'argent. Un silence de quelques secondes, et voilà que le sourire de William commença à ternir, à s'assombrir, alors qu'il s'approchait furieusement de quelques pas vers son ancien compagnon.
« Tu as entendu, Partenaire ?! Ils t'offrent ta liberté ! Tu n'as plus besoin d'être un jouet entre leurs mains, dis le. Dis que tu veux p- ! » Il fut alors subitement arrêté par le gradé, qui le poussa d'une main de fer, grognant devant la réaction de William.
« S'il ne parle pas, c'est qu'il désire rester ici. Pas que ça nous dérange... » Des ricanements s'échappèrent des quelques gardes postés à l'entrée, validant les mots du supérieur.
William grogna. Fracassant sa cigarette sur le sol pour l'écraser de toute sa colère, comme s'il tentait de réduire à néant la nicotine même enfermée dans ce bâton de papier. Soupirant ensuite d'exaspération, il glissa sa main fine dans sa chevelure, la remettant doucement en place, avant d'afficher un sourire de circonstance, factice, comme s'il glissait un masque à l'émotion figé sur son visage.
« Ouais. C'est à lui de décider de ce qu'il veut faire. » Commença-t-il à dire, avant de tourner les talons. Au moment où il tourna le dos à la bête d'acier, cette dernière commença légèrement à réagir. Des tremblements, mécaniques, comme des rouages qui s'enclenchaient. Pourtant, William faisait comme s'il n'entendait rien, se dirigeant alors vers la sortie, posant au passage son paquet de cigarettes sur une table où se trouvaient quelques outils souillés d'huile.
Sans regarder son ancien partenaire, l'Operator leva sa main pour la saluer, pour ne pas que l'immense créature ne puisse observer sur son visage les larmes du regret.
« A plus, Partenaire. J'espère que tu vivras une belle vie. »Non. Non. Non non non non non. Alors que sa silhouette disparaissait, la créature d'acier commença doucement à vibrer. Que faisait-il ? Pourquoi n'avait-il pas répondu à son appel ? Lui, l'être abandonné, l'âme enfermée dans une carcasse de fer, l'arme incarnée dont le bonheur lui était refusé ? Que faisait-il ? Son corps. Son corps refusait de bouger.
Il essayait. De se débattre. Si la masse mécanique ne faisait que légèrement trembler, vibrer, l'être à l'intérieur fracassait ce qui lui restait de conscience contre les épais murs de cette prison. Non ! Ne me laisse pas ici. Je ne veux pas ! Je ne veux pas rester avec eux. Mais son corps, son enveloppe, ne réagissait pas à ses suppliques. À sa peine. À ses peurs. Et à chaque instant, des flashs des moments passés aux côtés de William refirent surface. Des moments où l'Operator tentait d'insuffler de l'humanité dans son partenaire d'acier. De chaque moment où son cœur avait tenté, là encore, de faire parler, bouger le géant. Et à chaque fois... ce fut un échec.
Mais petit à petit, les tremblements gagnèrent en intensité. Si les gardes avaient tous remarqué ce changement brusque dans le Rüstung connu comme étant le plus silencieux de tous, le gradé, lui, s'approcha de la bête. Tapotant alors corps du Colt comme un maître tapotait la tête de son animal de compagnie.
« Oh, il va rester avec nous, hein ? Belle arme. Tu serviras encore ton pays quelques années, avant qu'un modèle supérieur soit développé. Comme le beau pistolet que tu es. »C'est à ce moment que le gradé comprit son erreur. Ses doigts entrant en contact avec l'acier froid, il arriva à percevoir, à la différence des autres acteurs de la scène, comme un bruit qui faisait vibrer l'entièreté du corps du Rüstung. Une vibration régulière. Comme un tapotement. Un tambour. Tout cela ne pouvait lui rappeler qu'une seule chose :
Le battement d'un cœur.
Derrière les murs d'aciers, s'entendait pour la première fois la partie la plus humaine de son être. Son cœur battait. À tout rompre. Comme il n'avait jamais fait auparavant, exprimant alors la plus sincère des envies : la liberté.
Soudainement, dans un bruit de rouages, dans un ronflement rauque et mécanique, les muscles s'activèrent. Détruisant les liens de métal, rompant les lourdes menottes de cette vie d'esclave et d'arme au service d'un gouvernement en guerre, ce fut la muselière de cuir qui céda en dernière, alors que, pour la première fois, la bouche de ce Rüstung s'ouvrit, et qu'il décocha ses premiers mots.
« Je ne suis pas un objet ! »Des mots qui résonnèrent au travers du hangar, au travers de la base, au travers des oreilles de chaque garde qui garda en mémoire cri profond et grave, rauque, comme un grognement s'échappant d'une profonde grotte, un bruit qui ricochait contre des murs escarpés pour s'échapper dans un souffle puissant. Non. Il n'était pas un objet. Il était un homme. Et il vivrait, désormais, comme un homme.
*** Quelques heures plus tard ***
Attirant tous les regards, l'immense bête de fer s'approchait d'un guichet à l'entrée de l'immense capitale aux rouages. Personne ne restait sur le sillage de l'homme à la tête de pistolet, que tous reconnaissaient comme l'un des Cyborg qui fut au centre de la grande guerre. La bête n'avait rien de plus que des haillons de cuir et de tissu, vestiges de son ancienne tunique. Aucune autre affaire, si ce n'est le paquet de cigarette de son Operator, qu'il serrait entre ses mains comme un enfant serrait le jouet lui servant à dormir.
Devant l'immense créature se tenait alors un des gardes, détenant un calepin entre les doigts. Un jeunot, qui fut effrayé et surprit face à la personne qu'il avait en face de lui.
« V... Vous êtes là pour ? »« Naturalisation. »« Je... Oui. Oui. Quel est... votre nom ? »Le jeune savait. Que des Améliorés, et des Sur Améliorés utilisés durant la guerre, viendraient ici pour commencer une nouvelle vie. Mais parmi les multiples cas qu'il traita durant ces quelques semaines suivant la guerre, celui-là fut le plus singulier.
Colt, de son côté, commença à réfléchir. Un profond soupir s'échappa de sa lourde mâchoire de fer, alors qu'il se remémorait un souvenir. Lui, aux côtés de William, peu de temps après qu'il soit désigné comme étant son Operator. " Colt, c'est pas top comme nom. C'est même pas un nom en fait ! " disait-il, à un Rüstung muet. " Tiens, j'ai une idée. Désormais, je vais t'appeler... "
« ... Sigurd. Sigurd C. Hohenmann. »Une dizaine de minutes plus tard, Sigurd existait enfin. L'homme nouveau se posa alors contre les murs de l'enceinte, observant le paquet offert par son ancien partenaire. Doucement, ses doigts épais tremblotant doucement devant cet effort qui semblait inhumain, il attrapa alors une cigarette, avant de l'allumer et de la porter à ses lèvres mécaniques. Puis, pour la première fois de sa vie, l'homme inspira profondément, laissant la fumée envahir son corps, alors qu'il reposait sa conscience.
Il était là. Il existait. Plus en tant qu'objet, plus en tant qu'arme. Mais en tant qu'Homme.
Et alors qu'il se faisait cette réflexion, et devant les regards interloqués des habitants effrayés... l'immense bête de métal commença violemment à tousser, crachant la fumée.
Putain. C'est fort, la clope.