Jack Treepwood, vous l’aurez compris en le regardant, est un singe. Un singe qui a mangé un fruit du démon qui a développé sa sagesse au-delà des limites humaines. C’est ce fruit qui lui a permit de gagner une conscience, mais c’est sa vie en tant que demi-homme qui lui a forgé son caractère.

Jack est une personne simple. Il n’est pas particulièrement stupide ou demeuré, mais ses raisonnements sont souvent gardés à leur strict minimum, il cherche la solution la plus directe à tout problème qui lui fait face. S’il est exposé à un problème sans réponse simple, alors à ce moment seulement, il commencera à se creuser les méninges, ce qui s’extériorise par un grattage intense de tête.

Jack aime aider les autres, il a quelque part encore la candeur d’un enfant qui commence à comprendre comment fonctionne le monde. Il aime se dire que ses actions ont eu un impact positif sur la vie de personnes, aussi petit le nombre de ces personnes peut-il être.

Cependant, Jack aime le conflit. Il voit ça comme une épreuve pour voir s’il serait capable d’aller plus loin que là où il est arrivé. Lever le poing n’est jamais très loin dans ses options pour régler un problème, et combiné à son schéma de pensée simple, cela crée un combo destructeur d’un singe bagarreur qui frappe les personnes qu’il considère comme mauvaises, ou qui se mettent entre lui et la suite de son voyage.

L’homme-singe a une forme de facilité à lire les émotions des gens. Que cela soit un effet direct ou non de son fruit, il devine sans difficulté l’émotion de surface d’une personne, mais n’est pas toujours capable de l’interpréter correctement, ce qui peut donner des situations gênantes où Jack demande simplement pourquoi une personne ressent une émotion particulière sans aucun tact. Car oui, le manque de tact du singe est aussi un de ses grands défauts.

Enfin, sa prise de conscience soudaine, et sa fréquentation de pirate lui a donné le goût de l’aventure, du voyage, et de la découverte : Il a passé presque vingt ans sans même songer qu’il existait autre chose par-delà son île natale, et refuse de passer sa vie entière à observer les mêmes arbres, la même terre, et les mêmes cailloux.

Singe. Né Singe. Grandi Singe. Vie bien.
Autre Singes, pas singe nous, veulent voler arbre nous. Pas content.
Griffe, mord, attaque, protéger arbre nous.
Gagner ! Plus grand singe moi !
Arbre eux maintenant arbre nous. Vie bien.
Plein temps après. Faim, plein fruits dans arbre eux. Fruit joli, veut croquer.
Fruit pas bon, jeter.

Je suis.
« Je suis », c’est une affirmation, la seule affirmation qui sépare l’être du reste du monde, la preuve de la conscience de soi. Autour de cette affirmation, rien n’est vrai, tout est mensonge. Les couleurs qui tourbillonnent dans mes yeux, la terre qui foule mes pieds, les bruits de la forêt.
L’infinité de l’existence commençait à chanter à mes oreilles, comme si tous mes sens, et de nouveaux sens dont je n’avais jamais soupçonné l’existence, venaient de sortir d’un long sommeil, et que je naissais pour la deuxième fois.

Pourquoi je suis ?

J’ai mal, pas mal comme avant. Avant, j’avais mal parce que j’avais été mordu, griffé, parce que je m’étais cogné. Cette fois, j’ai mal à la tête, j’ai mal dans le torse, j’ai un nœud dans le ventre. Je touche le ventre, je ne suis pas blessé.

Je regarde ma main, elle est plus grande, comme un gorille, mais plus fine. Avec moins de poils. Ce n’est pas ma main, mais quand je veux la bouger, elle bouge. Quand je veux la fermer, elle se ferme. C’est ma main.

J’ai peur, je regarde autour de moi. Personne ne comprend. Ils ont peur, j’ai peur. Je veux m’enfuir. Loin d’ici, loin des autres. Je fuis de branche en branche, pour aller quelque part. Oui, quelque part.


« J’me fais trop vieux pour ces conneries. » Soupira Sam Treepwood.

S’il avait choisi cette île pour s’installer, c’était pas pour qu’un géant doré commence à rôder sur son petit lopin de tranquillité ! Et maintenant c’est qui qui allait s’en charger ? Bah c’était l’vieux Black Sam, évidemment ! Parce que si un autre abruti venait à bouger par ici, eh bah il serait grillé.

Le vieil homme se saisit de son vieux marteau, presque plus usé par le temps que lui, d’une pipe à bois grossièrement taillée dans le bois d’un arbre autochtone, et s’enfonça dans la forêt, où il avait apercu le géant plus tôt. Dans sa barbe banche peu entretenue, il grommelait son mécontentement quant à la situation. De ses bras frêles, il faisait tourner son arme qui était maintenant disproportionnée par rapport à sa taille de nain. De ses jambes squelettiques, il sautait de racine en racine comme si elles n’avaient pas perdu leur agilité de leur jeunesse.

Trouver la créature, c’était pas difficile, et c’était bien ça l’problème, elle attirait beaucoup trop l’attention, ça arrangeait pas Sam du tout. Quand il eut retrouvé sa trace, il pouvait admirer le colosse dans toute sa… splendeur ? On va dire splendeur. Il regardait quelque chose dans l’eau d’un étang. Et il était visiblement très investi dans cette observation. Le vieux Treepwood décida d’observer encore un peu la créature, il ne pouvait pas nier que ce machin était assez insolite pour réfléchir avant de le faire voler avec un marteau.

Ce n’est pas moi. Il ne me ressemble pas. Il bouge quand je bouge, il regarde où je regarde. Mes mains lui ressemblent, mais ce ne sont pas mes mains. Quand je plonge ma main dans l’étang, il n’y a rien de l’autre côté de l’eau. C’est moi. Je ne comprends pas, je ne ressemble pas à ça. Le reflet change, il rétrécit, la couleur change, les poils poussent. Ce n’est toujours pas moi, mais il me ressemble un peu plus.

« Hé toi là ! »

Quelque chose approche, elle crie bizarrement, je ne sais pas ce qu’elle veut, mais si elle approche, je vais mordre.

Ouais, ça ressemblait à un fruit du démon ça. Sam avait jamais entendu d’un fruit qui fait de toi un monstre en or, mais il avait pas vu tout ce que les mers avaient à lui offrir. Mais qu’est-ce qu’un gars qui a mangé un fruit faisait ici… il se décida à descendre à son niveau.

« Je sais pas ce que tu fous chez moi, mais c’est mon île, et j’aime pas la compagnie. J’te laisse la journée pour retrouver ton bateau, ou te faire un radeau pour ce que j’en ai à faire, mais barre t- »

Avant même qu’il ait pu finir, le fou dangereux lui cracha dessus et chargea sans sommation. Plus par reflexe que par attention particulière, le marteau de Sam se propulsa dans les côtes de son adversaire. La bête se plia par terre de douleur, mais avait l’air d’avoir encaissé le coup, en tout cas assez pour pas s’évanouir sur le coup.

« Qu’est-ce que tu m’fais là ?! Saleté de macaaa… »

Ça aurait dû lui arriver dans la tête plus tôt. Le comportement de ce type, le fait que personne de sain d’esprit irait ici sans raison… la queue de singe aussi oui, c’est un détail.

« T’as l’air d’avoir beaucoup à penser pour une si p’tite bête, attends, je vais remettre tes pensées en place. »

Il laissa tomber le marteau par terre, il en aurait pas besoin. Et en l’espace d’un instant, réduit la distance entre lui et l’animal à zero, avant de lui envoyer la première mandale d’une longue série.

« Je sais pas exactement c’était quoi ta vie avant, mais c’est comme ça qu’un bonhomme ça se bat ! »

Il leva les poings serrés, comme pour montrer l’exemple à son partenaire.

« Vas-y, montre de quoi t’es fait, sale bête ! »

J’ai mal, mais c’est différent. Pas comme lorsqu’on me mord, ni comme lorsqu’on me griffe, c’est comme quand un rocher me tombe dessus ! Et c’est lui qui m’a fait ça… Ses mains sont fermées. Je peux les fermer aussi, je pense… Je vais l’attaquer plus fort !

Le singe répond, avec une frappe maladroite dans les dents. Pas mal, mais le vieux Treepwood avait déjà senti plus fort. L’échange de coup continua pendant une dizaine de minutes, si bien que les deux commençaient à rire ensemble. Ce qui semblait contrarier la grosse bête avait l’air de devenir le cadet de ses soucis sur l’instant.

Mais c’était un novice. Black Sam serra cette fois le poing plus fort, avant de viser l’estomac. Cette fois, le singe ne se relèverait pas. Le vieux Sam se posa un instant, reprenant son souffle : il n’avait pas fait de vrais efforts depuis le jour où il a tenté d’aller sur Grand Line… et misérablement échoué. Il observa son compagnon d’échauffement un instant. Si c’était effectivement une sorte de singe, il devait probablement venir de cette île d’une manière ou d’une autre, il avait pas vraiment le droit de le chasser comme ça… Et puis il allait pas le laisser inconscient au milieu de la jungle non plus ! Il prit la belle aux bois dormant sur son dos, puis son marteau, avant de rentrer chez lui.

« C’est toujours sur moi qu’ça tombe… »


« Hoé, vieil homme, j’ai apporté les fruits pour ce soir. »

Jack avait grandi, il avait remarqué vieillir bien plus lentement que ses frères. Un effet de son fruit du démon d’après le vieux Sam, il aurait l’espérance de vie d’un humain maintenant, mais Jack n’arrivait pas à savoir si c’était seulement celle d’un humain.

« Encore des fruits ? Ça fait 3 fois cette semaine… »

« C’est bon pour toi et tu le sais, vieil homme. Si tu voulais manger autre chose fallait te faire un potager. »

L’espérance de vie de Treepwood cependant, elle, n’était plus si loin de la fin. Il n’était plus capable d’entrainer Jack, ni même de se lever de son lit ces derniers jours. Sam tenta de se lever de son lit sans réel succès, avant de se raviser, et de tourner vers Jack.

« Hé le singe, j’ai un truc à te dire. Prends mon marteau. »

« Il est à toi, en plus tu sais que je me bats à mains nues. »

« Tu crois que j’ai l’air capable d’encore l’utiliser ? Non, je veux juste que tu gardes un truc à moi quand tu voyageras, ça fera comme si j’étais là. »

Jack commençait à couper les fruits aussi grossièrement que l’on lui avait appris, en tentant de ne pas prêter attention au sous-entendu des paroles du vieil homme. Il répondait en continuant sa besogne.

« Ne dis pas ça, vieil homme, tu viendras avec moi, même si je dois te porter moi-même, tu dois aller jusqu’au bout du monde, tu te rappelles ? »

« Ouais, je me rappelle… Je suis pas sénile, espèce de macaque… Mais je pense que j’ai déjà assez voyagé pour une vie. Je te laisse commencer le tiens, Jack… Je vais me coucher, je suis fatigué… »

Les sens du singe l’avaient senti, les battements de cœur qui ralentissaient, et qui baissaient peu à peu. C’était son heure.  Jack retenait ses larmes comme il pouvait, sans succès, avant de répondre dans une voie tremblotante.

« Bonne nuit, vieil homme… »


Le vent se dirige vers la grande île, c’est le jour du départ. Cela fait plusieurs mois que Jack prépare son premier voyage… et il a utilisé la plupart de son temps pour apprendre à faire un radeau… Un radeau qui ne tiendra pas plus d’une journée. C’était ça ou les tortues de mer attachées.

« Vieil homme, souhaite moi bonne chance ! Soit on arrivera sur Grand Line, soit on coule avec ce machin ! » déclara-t-il au vieux marteau qui l’accompagnait sur sa bicoque de fortune.

Il regarda une dernière fois l’île sur laquelle il avait passé toute sa vie jusqu’alors, soupira, monta à pieds joints sur le morceau de bois, et hissa le drap-voile.

« Je suis Jack, Jack Treepwood ! Et j’irai jusqu’au bout du monde ! »