Tu ne possèdes pas beaucoup de choses, Manoa. Et de toutes tes rares possessions, aucune n'a plus de valeur à tes yeux qu'une autre. Tout ce qui t'importe, c'est d'avoir de l'air à respirer et des garçons à aimer. Mais comment prendre le temps d'aimer les garçons, quand on vient de te dérober l'intégralité de tes affaires ? Pire encore, dans ce sac se trouvait l'épaisse liasse d'avis de recherche longuement accumulés et soigneusement rangés dans une pochette cartonnée pour ne pas les froisser. Une pochette personnalisée, organisée par ordre alphabétique et date de parution, avec une séparation entre les amants capturés et ceux dont le cœur est encore ignorant. Tout ce travail, arraché. Tu ne peux pas l'accepter. Certes, tu connais les portraits de tes cibles par cœur et tu peux absolument continuer à les chasser sans ce dossier. Mais c'est presque comme ton propre journal de bord, un véritable répertoire à souvenirs. Non, tu ne peux définitivement pas accepter de t'en séparer.

Ainsi, après trois jours de festivités agréables et enivrantes passés à apprécier la fête et la proximité de la foule, tu as décidé de te joindre à l'effort général pour retrouver le voleur obscène de Goa. Tu n'as même pas eu la chance de l’apercevoir. En quelques minutes à peine, ton sac avait disparu, et c'est depuis que tu t'en es rendue compte que tu le cherches activement, te fiant à ton instinct et aux ragots que tu as pu rassembler au cours de ces trois derniers jours.

Beaucoup de personnes sont en ville. Après tout, le festival de l'été de Goa est bien connu dans la région et toujours apprécié ; tu y vas tous les ans depuis quelques années déjà. Surtout pour te détendre, dépenser de l'argent, faire des rencontres. Quelques jours avant d'arriver, tu as fais escale au charmant petit village de Fuschia, où tu as terminé la traque de ta dernière cible. Qu'il était beau, ton Giorgio. Dommage qu'il finisse sa vie en prison et pas dans ton lit. Mais bon, ça n'aurait jamais pu marcher entre vous ; c'était un criminel, après tout.

Artie ne quitte pas ton côté, presque collé à tes chevilles, l'air hagard. Il surveille tes arrières, son regard projetant des éclairs sur quiconque le croise. Habituellement, tu effaces la colère de ton cœur, pour garder l'esprit clair. Mais parfois, il faut savoir s'échauffer. Toi non plus, tu n'as pas l'air si commode. Tu marches vite, te faufiles sans faire attention entre les passants, séparant les couples d'un coup d'épaule bien placé. Dans ton sillage, le grondement d'un chat mécontent peut s'entendre, lorsque le brouhaha de la foule ne l'étouffe pas.

Soudain, un éclair turquoise obstrue ta vision, suivi d'une bousculade provoquée par la foule et d'un choc désagréable à l'épaule et au front. Prise au dépourvu, tu pousses un cri de détresse avant de porter la main à ta tête pour reprendre tes esprits et ton équilibre. Et c'est en rouvrant les yeux que tu le vois, que tu le reconnais. Après tout, tu avais déjà essayé de te lancer à sa poursuite, mais quelqu'un t'avait devancé. Ce n'est que récemment, lorsque tu as trouvé son nouvel avis de recherche, que tu as recommencé à t'intéresser à lui ; malheureusement, tu n'avais pas pu rassembler assez d'informations à son sujet pour le localiser. Et pourtant, c'est bien lui qui se tient devant toi. Et c'est bien contre lui, que tu viens de te cogner. Magnum D. Alysum. Tu pourrais le reconnaître dans le noir. Recherché mort ou vif pour onze millions de Berry, mais surtout... ▬ Encore plus beau en vrai qu'en photo... Les mots s'étaient échappés de tes lèvres sans prévenir, comme un réflexe incontrôlable. Dans ton esprit, le temps s'écoule comme au ralenti, alors que tu plonges ton regard dans le sien, savourant chaque battement de cil de cet instant magique. Jamais tu ne pourras oublier cette rencontre.

Tes paupières papillonnent lorsque tu entends sa voix, te sortant ainsi de ta rêverie. Le temps reprend son cours, et toi tes esprits. Sa douceur te surprends. Il est toujours difficile d'imaginer comment sont les personnes avec une simple photo et des rumeurs à leur sujet. On t'avait dépeint Magnum comme un calculateur froid et manipulateur, sans pouvoir t'en dire beaucoup plus. Mais tu vois bien que ça ne peut pas être le cas. Pas quand il s'excuse sans chercher à comprendre, pas lorsqu'il te tend la main sans hésiter. Derrière. Tu suis les indications d'Artie, penchant la tête sur le côté pour apercevoir trois personnes dans le sillage de ton nouveau criminel favori. Deux d'entre eux te sont familiers, tu plisses un tout petit peu les yeux... Ash et... Edd ? Tu as rangé leur avis de recherche dans ton précieux dossier récemment, justement. Tiens, c'était en même temps que celui de Magnum, si tu te souviens bien...

Ta voix aussi rauque que mélodieuse sonne avec une pointe d'amertume, dirigée par-dessus l'épaule du pirate. Une femme aux cheveux bleu comme les fonds marins se tient là, bras croisés. Celle-là, tu ne l'as jamais vue. Enfin, si, tu as vu son avis de recherche ; mais comme toutes les femmes recherchées qui ne s'appellent pas Meredith Holmes, tu as oublié son existence dès le moment où tes yeux se sont posés ailleurs. Tu l'observes rapidement, jugeant son apparence et sa tenue. Le verdict tombe. ▬ Hors de question de me faire ausculter par cette gueniche. Tes paroles sont soulignées et renforcées par un feulement bref dirigé vers la demoiselle concernée. Artie se lèche ensuite les babines avant de faire demi-tour et de se presser contre ta cheville, indiquant qu'il préférerait partir au plus vite. Pas le moment. Tu baisses la tête et lui réponds précipitamment. ▬ Si, c'est parfaitement le moment Artie, arrête de toujours vouloir te mettre en travers de tout ! La colère emmagasinée dans ton cœur est toujours présente et il suffit d'un rien pour qu'elle se dirige vers ton ami. Vexé, ce dernier te lance un regard lourd de sens, avant de se résigner et de s'asseoir, les oreilles plaquées sur le crâne et la queue fouettant l'air rageusement.

Te hissant sur la pointe des pieds et rapprochant vos corps l’un de l’autre un peu trop près pour deux personnes qui viennent seulement de se rencontrer, ta main vient saisir la sienne alors que tes lèvres murmurent dans son cou, pour lui seul. ▬ En revanche, si c'est toi qui m'ausculte, je ne suis pas contre. Un sourire sincère et timide illumine ton visage lorsque tu t'écartes à nouveau de lui, l'air aussi bouleversée qu'une étudiante qui parle pour la première fois en tête à tête avec le garçon de ses rêves.

C'est à ce moment-là que tu prends conscience de la sensation toute aussi étrange que familière dans ta main. Curieuse, tu baisses les yeux et découvres alors quelque chose de... tout a fait singulier. Ton autre main libre vient se poser délicatement sur la sienne que tu retourne paume vers le haut. Caressant la surface rosée du bout de tes doigts délicats, tu observes avec une fascination sans gêne. Ta petite voix intérieure résonne. On dirait une patte de chat. En accord avec toi-même, tu hoches doucement la tête, avant de la relever pour chercher à nouveau son regard. ▬ Qu'est-ce que tu as là... ? Tu ne lâches pas sa main. Si une légère tension s'installe, tu la balayes d'un sourire détendu, ta précipitation précédente revenant titiller ton esprit. ▬ J'étais entrain de passer une très mauvaise journée mais voilà que tu apparais devant moi comme un cadeau, quelle merveilleuse surprise. Ton cœur parle sans te laisser le temps de réfléchir, et tu le sens déjà s'affoler dans ta poitrine.

Tu sens que, tout comme toi, il est troublé par cette rencontre. Peut-être m'attendait-il aussi, depuis tout ce temps. Il se questionne, ne comprends pas. La réponse évidente te vient tout de suite. Ta voix, tes yeux, tes mains... ton regard, tes lèvres. Tes yeux restent suspendus à celles-ci alors qu'un élan de lucidité censure tes pensées primaires. Tu le laisse récupérer ses mains, les tiennes accompagnant son geste quelques instants avant de retomber le long de ton corps. ▬ En fait, je viens de me faire dérober mon sac par ce voleur de pacotille et-- haa ! Tu n'avais pas crié à cause de la bousculade, mais bien de la surprise provoquée par ses bras se refermant sur toi. La chaleur de son corps contre le tiens, l'odeur de sa peau qui te submerge. La tête à peine maintenue hors de l'eau, tu as bien du mal à ne pas t'y noyer. Tout est sûr maintenant, vous formez une paire parfaite. Figée, tu te laisses emporter par la vague, vacillante. Le visage collé contre son épaule, tes jambes qui s'emmêlent dans les siennes et ton équilibre qui failli. Alors qu'il s'arrête, ton pied qui part en arrière pour te rendre un semblant de stabilité. Le souffle momentanément coupé, ton cœur fragile inondé par les émotions. Tu contemples l'immensité bleue du ciel sans nuages.

Tu reviens à la réalité lorsqu'il te repousse à bout de bras, arrachée à ton rêve sans avoir eu le temps d'en profiter. Tu clignes quelques fois des yeux avant de comprendre ce qu'il se passe. La proximité de ses compagnons et surtout de la foule te dérange, tu voudrais qu'il n'y ait que lui et toi pour discuter longuement, parler de l'un et de l'autre, apprendre à se connaître, et construire un avenir commun. L'amertume revient irriter l'arrière de ta gorge alors que tu entends la voix pénible de cette fille.

C'est en plein milieu de ce moment déjà bien assez chaotique que ton stupide chat noir décide de monter d'un seul bond puissant sur tes épaules, t'utilisant comme une vulgaire étagère. Ainsi perché, le voilà légèrement plus grand que sa cible : la femme aux cheveux bleu. Un second feulement se fait entendre, plus menaçant que le premier et à seulement quelques centimètres du visage de la vilaine. Sans t'étonner un seul instant d'avoir un chat furieux dans le cou, tu tournes la tête vers elle et la regarde de haut, le menton tendu. Non, ce n'est vraiment pas le moment de venir se pavaner devant toi. ▬ Artie a raison la moche, si t’es jalouse il fallait arriver avant moi. Maintenant que je suis là, tu n’as plus aucune chance. Car je suis la plus belle danseuse de la région. Un clin d'œil et un faux sourire ponctuent ta remarque acide, et c'est aussi rapidement que tu l'oublies déjà, elle et son nez pointu.

D'un petit pas gracieux, tu tournes sur toi-même tout en te rapprochant de Magnum, terminant le dos contre son torse pour faire face au duo, aimant la sensation de leurs yeux qui suivent ta silhouette. Déséquilibré par tes mouvements, Artie retourne sur le sol pavé, non sans lâcher un miaulement rauque de mécontentement. Tu accroches leurs regards le temps d'une courte seconde puis t'en désintéresse et redresse le menton pour parler doucement. ▬ Merci de m’avoir rattrapée chéri. Et d'un geste furtif, tu déposes un baiser éphémère sur la joue du pirate en guise de remerciement.

Aussitôt retrouvée, la sensation de son corps pressé contre le tien disparaît à nouveau. Plus surprise qu’autre chose, tu tournes sur toi-même. ▬ Oh, tu pars déjà ? Tu cherches autour de toi, un air mi-déçu mi-amusé traversant ton visage. Mais tu as beau regarder, tu ne le trouves pas. Tu dois vite te lancer à sa poursuite avant de le perdre. Mais avant, tu dois gagner contre la truie qui continue d'essayer vainement. ▬ La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe. Tu murmures, presque pour toi seule.

Sans prévenir tu tends la main vers ta rivale éphémère et d’un geste rapide et contrôlé, index tendu, tu effleures ses lèvres. Le mouvement continue et tu caresses également celles du rouquin et de son acolyte inséparable. Une bouche après l’autre. Ça leur apprendra à dire des grossièretés aussi laides. Ton doigt revient se poser délicatement devant la tienne, comme si tu leur intimais le silence alors que trois gerbes de pétales blancs s’envolent et rejoignent les confettis de la fête. ▬ C’est trop moche, quand vous parlez. Un peu de retenue et d’élégance, messieurs dame. Ton sourire mesquin ponctue ta phrase et sans leur laisser le temps de comprendre ce que tu leur a infligé, tu fais volte face et disparais dans la foule.

Artie te précède de quelques foulées. Odeur. Pas loin. Tu ne le trouves pas. Mais pourtant, il te faut agir vite, ou il t’échappera de nouveau, et qui sait si tu le reverras un jour. Précipitamment tu plisses tes lèvres pour pousser un sifflement aigu qui domine le brouhaha du peuple en fête pendant quelques instants, juste assez pour que quelques têtes surprises ou curieuses se retournent vers toi. Mais ce n’était en réalité qu’un ordre, suivi de trois claquements de langue distincts alors que tu lèves les bras vers le ciel. Un battement de cil plus tard, et tu as disparu. Tu n’es plus qu’un simple drap de soie couleur aigue-marine dans la gueule d’un chat noir bondissant qui s’enfuit déjà vers une ruelle et disparaît dans les ombres de celle-ci.

Artie sait ce qu’il a à faire. Le museau pointé vers le ciel, il s’arrête un moment, le temps de tourner sur lui-même pour renifler les alentours. Monter. D’un bond puissant, il saute contre la surface rugueuse d’un mur en crépis et se hisse sans mal jusqu’au balcon du premier étage. Un saut sur la rambarde de fer forgé, un autre jusqu’à la gouttière, et le voilà perché sur un toit, les sens en alerte. Quant à toi, tu restes immobile, ne pouvant de toute façon pas bouger. Tu te laisses porter, traînant à moitié contre le sol et le mur sale. Mais peu importe la poussière et les saletés - tu te laveras d’un revers de main plus tard. Le félin se déplace d’un toit vers l’autre, jusqu’à retrouver la piste olfactive flottant dans l'air. Après un éternuement précipité, il change de direction et trouve quelques moments plus tard la cible de ton cœur.

Prenant son élan pour arriver sur le bon toit cette fois-ci, le chat s’avance jusqu’au niveau du jeune pirate avant de se figer complètement. Chien. Il ouvre la gueule et fait quelques pas pour passer devant ce drap qui forme ton corps, les pattes tendues et le dos hirsute. En un instant, il gonfle son poil et double de volume alors qu’il se met à gronder, les yeux fixés sur la silhouette velue à quelques mètres de là. Sans le quitter du regard, il penche la tête pour saisir le manche de son couteau entre ses dents. Charpie. Il faut que tu réfléchisses, vite. Magnum est juste à côté, l’air lui aussi tendu. Tu pourrais surgir dans son dos et le changer facilement en linge propre. Ou tu pourrais glisser in extremis entre les adversaires pour couper l'affrontement avant qu’il ne commence. Tu pourrais même rester là, comme un drap inerte et abandonné, et attendre le moment parfait pour attraper le premier qui glisse au-dessus de toi. Malgré la tension, tu réfléchis calmement.

Dans une mince explosion de pétales, tu retrouves ta forme humaine et termines debout, juste à côté de Magnum bien que légèrement en retrait. Artie se tient devant toi, bien décidé à se battre et prêt à sauter à la gorge de l’individu suspect. D’autres pétales viennent se joindre aux premiers lorsque tu presses ta main sous la nuque de ton bien-aimé et que tu la laisses glisser jusque dans le bas de son dos. Simple précaution pour plus tard. ▬ Je suis là Magnum, je suis venue t’aider. Mais bien sûr Manoa, continue de mentir. Sourire et regard en coin.

ARRIÈRE ! La voix n'a pas eu le temps de t'atteindre. Tu ne l'avais pas vu venir. Tu as bien du mal à rester immobile alors que la puissance de son coup arrêté juste à temps fait voler tes cheveux en arrière. Encore une fois, ton souffle se coupe. Subjuguée par la beauté. Il se questionne. Il doute. Tu ne réponds pas, tu ne peux pas. Sa voix gronde par-dessus les festivités, et ton corps est parcourut de frissons incontrôlables alors que l'air lui-même se plie à la volonté de Magnum et dévaste tout sur son passage. ▬ Quelle force... Les mots s'échappent, à peine prononcés entre tes lèvres peintes en rouge myrtille. Artie, qui s'était retourné en un instant, près à sauter à la gorge de ton présumé attaquant, donne un coup de lame rageux dans le vide, les dents serrées. Les muscles tellement tendus qu'ils pourraient se rompre, il ne bondit pourtant pas en avant sur ton pirate, saisissant ton calme malgré la violence dont vous venez d'être témoins.

Aah... te voilà déjà en mauvaise posture, Manoa. Aveuglée par l’amour et l’envie de fuir la routine de ton quotidien, tu n’as pas été aussi prudente qu’à l’accoutumée. Après une longue inspiration pour regagner un semblant de maîtrise de soi, ta voix lui répond, sans mesquinerie cette fois-ci. Simplement sincère ; autant que tu peux l’être du moins. ▬ Non, ne tire pas. Je n’ai fais que t’aimer, rien de plus. Pendant quelques instants une réelle inquiétude teinte ta voix rouillée. Je ne t’ai pas fait mal j’espère ? Tu voudrais tendre la main pour le rassurer mais tu te retiens, de peur de le provoquer.

Calmement, les mains jointes dans le creux de ton dos, tu fais quelques pas pour le contourner et revenir dans son champ de vision. La vérité franchit tes lèvres, mais pas en entier. ▬ Est-ce que ça t’étonne vraiment que quelqu’un puisse connaître ton nom alors qu’il était affiché dans le journal il y a quelques semaines seulement ? Sifflement sec et aigu. Va chercher. Artie avait déjà bondit vers les gravats de la cheminée avant que tu ne parles, écartant le nuage de poussière sur son passage. Tu clignes plusieurs fois des yeux, comme si la scène se rejouait dans tes souvenirs. ▬ C’était le coup de foudre quand je t’ai vu pour la première fois, vraiment. Silence. Je n’ai jamais ressenti ça, tu sais… le rouge monte aux joues, tu regardes ailleurs. Voyons c’était… un peu avant ton arrestation ? J’ai perdu ta trace, juste après ça. Tes yeux se mettent à briller d’une tristesse sincère et observent vaguement le toit sous vos pieds. ▬ J’ai cru que je ne pourrais jamais te trouver. La gorge se serre.

Un souffle de vent frais chargé des odeurs de fête du festival vient agiter tes cheveux détachés, tandis que derrière les restes de la cheminée, un grommellement suivi de grognements et de supplications se font entendre. L’espoir renaît sur ton visage. ▬ Mais aujourd’hui, la chance m’a sourit. Par un hasard malheureux, nous nous sommes rencontrés. Un coup étouffé, puis deux, un souffle coupé, puis plus rien. Si ce n’est quelques froissements de vêtements rapidement emportés par la musique montant des rues. Terminé. Tu ne sembles y prêter aucune attention. ▬ Mon chat quant à lui, est simplement bien dressé, regarde. Tu tournes la tête en entendant le bruit caractéristique de quelque chose que l’on traîne s’approcher de vous et surgir de la poussière. Artie revient vers toi, une des sangles de ton sac à dos dans la gueule. Il semble le traîner sans efforts, simplement gêné par le relief des tuiles sous ses pattes. Autour de son cou, une paire de lunettes suspendue. ▬ Ah, c’est à toi ça non ? Tu relèves la tête vers le pirate, souriante. Je me disais bien qu’il te manquait quelque chose. Tu sondes son regard, cherchant les signes d’un apaisement ou d’un départ de confiance. Ta voix se fait plus basse alors que tu termines. ▬ Tu es beau même si tu ne les portes pas, tu sais. Comme s'il t'était impossible de le regarder plus longtemps, tu baisses à nouveau la tête, tes deux mains venant replacer tes cheveux derrière tes oreilles.

Soudainement fatiguée d'être debout, tu décides de t'asseoir sur les tuiles, les jambes pliés et les genoux ramenés contre ta poitrine. Tes yeux suivent les gestes de Magnum alors qu'il s'accroupit, qu'il tend la main. Qu'Artie s'assoit sans le regarder, faisant mine de l'ignorer. Tu souris. Il le tolère, même s'il gronde un peu lorsque sa main vient inévitablement frôler son pelage pour récupérer ses lunettes. Dès qu'il ne les a plus autour du cou, le chat se lève pour marcher jusqu'à toi, et s'allonge contre ton bassin. Calme, il commence à se lécher les pattes avec application, vous ignorant tous les deux. Malgré tout, ses oreilles mobiles trahissent qu'il suit votre conversation avec intérêt.

Ton sac est soulevé et tendu dans ta direction. Reconnaissante, tu tends la main pour le récupérer, mais alors que tu allais refermer ta main sur la sangle, elle recule de quelques centimètres en même temps que cette voix qui questionne. Tu es très réservée, quand cela concerne ta vie privée. Quand on te pose des questions trop personnelles, c'est là que tu mens le plus facilement, et le plus fort. Mais s’il y a bien une chose sur laquelle tu n’as jamais menti, c’est ton nom. Car tu l'aimes, car il est simple, car il sonne bien, car c'est le tiens. ▬ Je m’appelle Manoa. Je ne suis pas journaliste, juste passionnée. Il y a du progrès ; tout cela est vrai. Mais c’est tellement difficile, de parler de toi. Le fond de ton cœur aimerait que tout s’arrête. Les mensonges, les tromperies, les faux semblants. Lui dire toute la vérité que tu te caches à toi-même et juste, apprécier de faire la rencontre de quelqu’un normalement, pour une fois. Mais rien que l'idée d'essayer te désespère. Voyant que le sac ne vient pas, la main retourne contre ta cuisse. Tu abandonnes.

Ton regard se perd et le sourire s’efface alors que la culpabilité, elle, surgit du fond de ton esprit, là où elle est constamment enfouie. Par automatisme, tu passes tes mains l’une contre l’autre, fermant les yeux pour l’oublier, pour la bannir à nouveau. Pour aller mieux. Tu as besoin de changer de sujet. ▬ Pourquoi t’être enfui, tout à l’heure ? Très vite, le sentiment négatif s’efface, remplacé par quelques pétales au creux de tes mains humides à l’odeur de lessive fraîche. Et alors que tu les rouvres pour laisser les fleurs et les soucis qu’elles représentent s’envoler loin de toi, ton regard s’égaye à nouveau. Ça va mieux. Envolée, la culpabilité.

Une jambe tendue, l'autre encore pliée, et les mains posée sur le toit, derrière ton dos, alors que tu te penches légèrement en arrière pour relever la tête et regarder ton pirate dans les yeux. En réalité tu ne souhaites qu'une seule chose : qu'il vienne s'asseoir à côté de toi.

Il se retourne, il s'éloigne. Une pointe d’agacement perce dans ta voix. Rien ne va dans ton sens, aujourd’hui. ▬ Mmmmh pourquoi tu ne viens pas juste t’asseoir ici et discuter ? Ta tête vacille d’un côté puis de l’autre et finalement, tu te redresses un peu pour récupérer ton sac. Méticuleusement, tu le fouilles pour vérifier que tout s’y trouve. Fort heureusement, ce voleur stupide n’a pas l’air de s’intéresser plus que ça à l’argent, et c’est tant mieux pour toi. Il te reste la quasi totalité de la prime de ce très cher Giorgio, qui ne te manque déjà presque plus. Plusieurs millions de Berry cachés là, sous tes rares affaires. As-tu vraiment besoin d’attraper Magnum aujourd’hui ? Pourquoi ne pas prendre un jour de congé, pour une fois… Mais il est si distant, tu pourrais peut-être le forcer.

Pour toi-même, tu fais légèrement non de la tête. Aujourd’hui est un jour lucide. Ce qui signifie : un jour difficile. Déjà, la culpabilité revient, plus forte, plus rapide. Tes mains claquent lorsque tu les presse l’une contre l’autre pour les lessiver nerveusement et repousser, encore et toujours, la négativité de ton esprit. Constatant finalement que ton sac et son contenu sont intacts, tu te relèves pour te tenir juste devant Magnum alors qu'il revient vers toi, l’air d’abord déterminée, puis ensuite curieuse. ▬ Tu es tout aussi mystérieux que moi. Si je t’en dis un peu plus, feras-tu de même ? Tes yeux se promènent sur le corps du voleur. Les bras se déplient et comme une musicienne qui joue de la harpe, tu laisses tes mains frôler et caresser ce corps de la tête aux pieds, ces mêmes pétales blancs apparaissant toujours au bout de tes doigts avec une légère latence. Si certains tombent au sol, la majorité s’envolent avec le vent tiède de la fin d’après-midi, et quelques élus viennent même se perdre dans les cheveux turquoise de ton précieux pirate.

Un battement de cils plus tard, alors qu’une odeur fraîche et fruitée de pomme emplit l’air, l’homme inconscient perd sa forme et tombe comme un drap, trempé par tes pouvoirs. Tu le rattrapes et commence calmement à le plier, comme si de rien n’était. L’étrange impression qu’il est plus facile de continuer à se livrer une fois qu’on a commencé s’installe dans ton esprit et délie ta langue. ▬ Tu as peut-être entendu parler de la Panthère Amoureuse. Silence. Je remet les hommes comme lui, comme toi, dans le droit chemin. Comme tout à l’heure, tu te rapproches alors soudainement pour venir murmurer dans son cou, détachant chaque syllabe. Une vieille habitude qui fait de toi celle que tu es devenue aujourd’hui. Mais il me semble que tu étais déjà connu toi aussi, avant d’avoir une prime, n’est-ce pas ? C’est ce qu’on dit sur toi, en tout cas, Magnum chéri. Tu te détaches de quelques centimètre,s revenant à une distance plus raisonnable, le voleur changé en drap plié en huit dans tes bras. ▬ Pour répondre à ta question... je n'ai jamais vu le visage de cet... animal. Mais je ne connais pas tous les avis de recherche, je ne prends que les beaux garçons ~ Une étincelle amusée illumine tes yeux bleus. La vérité, c'est que tu prends tous les garçons. Mais que lui n'est qu'un animal à tes yeux ; et les animaux, ça ne se chasse pas. Ça se dresse.

Son rire éclate ; tu te sens prête à l'accompagner. Quand soudain.

▬ Tu sais que ça fait un sacré moment



Il n’aurait pas dû dire ça. Ton cœur s’emballe et trébuche, il chute, tu te sens fragile. Tu n’entends même pas la suite. D’un pas maladroit en arrière tu te rattrapes de justesse, une main sur la poitrine et l’autre sur ta joue. La respiration irrégulière, les pupilles dilatées derrière tes paupières fermées. La chaleur monte comme une fièvre et te fait tourner la tête. C’est pour ça que tu ne prends pas ton temps comme ça, d’habitude. D'habitude, tu te dépêches de les hypnotiser, de les contrôler, de les purifier. D'habitude, tu contrôles tout. Car sinon, les garçons répondent, ils te parlent, te font chavirer. Comme un glaçon dans une fournaise, tu fonds, à la chaleur des garçons. Si tu avais été dans des conditions de chasse normales, Magnum serait déjà plié en quatre, prêt à être étendu au soleil. Artie se lève et pousse un miaulement inquiet en te voyant flancher. Assieds-toi. Comme libérées par cette voix dans ta tête, tes jambes cèdent d’un seul coup, et tu t’écroules juste à côté de l’homme qui t’as mis dans cet état, glissant sur les tuiles lisses.

Ce minuscule malaise ne dure heureusement que quelques instants. Dès le moment où tu es de nouveau immobile, les sensations fortes s’atténuent, et ta respiration reprend un rythme normal. Tu pousses un long soupir, l’air fuyant entre tes lèvres étirées en un sourire discret. La douleur qui commençait à serrer ton cœur s'estompe avant que tu ne puisses la remarquer. ▬ Je crois que je t’aime déjà un peu trop. Les mots s'envolent avec le vent, légers, distants. Puis la voix reprend son assurance. ▬ J'ai gagné ce surnom bien avant qu'Artie ne m'appelle à l'aide. La panthère, c'est moi. C'est comme ça que les journaux ont commencé à t'appeler après tes premières grosses chasses. Tu récites les grands titres des articles qui portaient ton nom. Manoa la prédatrice des hommes mauvais, qui ne blesse jamais rien d'autre que les cœurs. Cette vérité ternie ton regard, encore aujourd'hui.

Tes mains passent encore une fois l'une sur l'autre, inlassablement. Tu réponds à son interrogation. ▬ Quelques caresses supplémentaires et tu deviendrais une salopette ou une nappe. Je laverai ton cœur, et je n’aurais plus qu’à te ramener au poste de la Marine le plus proche. Une fois sec, tu serais déjà derrière les barreaux. Une main vient ébouriffer tes cheveux, pour les remettre en place l’instant d’après. Mais je ne peux pas faire ça aujourd’hui, n’est-ce pas ? Tout ce temps perdu… la phrase termine en suspens dans ta gorge. Tu t’imagines contre lui, ensemble, à l’avant d’un navire naviguant sur une mer turquoise. Comme ses cheveux, comme tes yeux. C'est douloureux comme image. Tu le regardes sans relever la tête, suivant les gestes de son corps, de ses mains. Et le curieux phénomène qu'il provoque d'un simple toucher. Tes yeux s'écarquillent en étant témoin des dommages causés aux tuiles. ▬ Qu'as-tu fait ? Tes propres mains viennent cueillir la sienne pour l'observer à nouveau. Tu ne m'as pas répondu tout à l'heure... qu'est-ce qu'il y a, dans ta main ? La curiosité est teintée d'inquiétude, d'angoisse.

Tu tournes enfin la tête vers lui, très proche, cherchant son regard. La tristesse enveloppe ta voix, dont les dernières notes se brisent, comme les vagues sur les rochers. ▬ Pourquoi a-t-il fallu que tu deviennes un pirate, Magnum ? Pourquoi n’a-t-on pas pu se rencontrer avant ? Une paire de larmes vient mouiller tes joues, couler jusqu'à ton menton, tacher ton chemisier. Tu écoutes ses mots sans parler. Ses camarades ? Tu les avais déjà oubliés.

Il dit sans dire. Mais tu t'y attendais presque. On ne peut pas percer toutes les défenses de quelqu'un en moins d'une heure, comme ça. Après tout, tu ne dis jamais la vérité, habituellement. Tu comprends.

D’autres larmes rejoignent les premières alors que la tristesse voile ton visage ; plissant tes lèvres, fermant tes yeux. Ses paumes à la douceur unique reposent sur tes mâchoires, tandis que ses pouces caressent tes joues pour interrompre la suite de gouttes qui y coulent. Tu te laisses faire, entièrement, transportée par son affection autant que sa colère. Une fois de plus, ton cœur s’emballe et vient se cogner contre ta poitrine, forçant un soupir entre tes lèvres. Plus qu'entendre ce qu'il dit, tu le ressens. Tu le comprends, tu le crois, tu l'acceptes. Tu le pardonnes.

Alors que sa voix se calme tu trouves la force de rouvrir les yeux, seulement pour être noyée une fois de plus dans les siens, sans pouvoir y échapper. La vague de ses sentiments roule et t'engloutit entièrement sous la surface, te laissant fébrile et la tête prise de vertiges. Tu es chassé, je suis chasseur. Ces mots font écho aux siens à l'arrière de ton crâne. Ton cœur se serre. Que c'est dur, de parler comme ça, sans mentir, sans exagérer, sans être sûre de gagner. Mais d'une certaine façon... ça te fait du bien, de souffrir comme ça. Le silence retombe alors qu'il retourne à la contemplation de l'horizon. Le soleil, lentement, passe derrière les nuages.

La fin de la journée approche, et le ciel s'emplit de couleurs chaudes et dorées. Un peu à cause de ton état, beaucoup à cause de ton amour (ou plutôt est-ce l'inverse ?) tu finis par délicatement poser la tête sur son épaule. Il te faut ce soutien, pour continuer. ▬ Plus je voyage, plus je croise le chemin de marines corrompus. Des fois, j’ai aussi envie de les arrêter, de les lessiver à grandes eaux pour purifier petit à petit leurs cœurs pourris. Mais si je faisais ça… c’est moi qui finirait derrière les barreaux. Il est si difficile pour toi d'agir contre tes convictions, d'interrompre le flot de tes actions et de ta pensée. Tu es comme ça, fluide, flottante et indomptable comme le vent, il est difficile de t'enchainer quelque part. Tu as abandonné ta maison il y a tant d'années que tu ne sais plus quelle sensation ça fait d'avoir un chez soi. Même si tu ne désires que ça, tu ne peux pas t'imaginer t'ancrer à ce point. La gorge serrée, tu reprends. ▬ Je n’aime pas m’empêcher de faire ce qui est juste. Je voudrais te suivre sans réfléchir… qu’on apprenne à se connaître et à s’aimer, mais je ne peux pas devenir pirate. Ce serait trop. Sourire mélancolique alors que la voix s'éteint. Que dirait ma famille, après ça. L’image de Meredith emplit ton esprit comme un rayon de soleil trop fort. La seule famille qu’il me reste. Non. Jamais tu ne deviendras pirate, l'idée même t'es insupportable.

Tes doigts se triturent l'un l'autre alors que ton regard quitte l'horizon pour examiner tes ongles pourtant impeccables. Une idée inédite traverse ton esprit. Quelque chose d'inconnu, que jamais tu n'aurais osé penser auparavant, par peur de la fin, et de la souffrance qui irait avec. Bien vite, l'idée germe et prend racines, jusqu'à franchir la barrière des mots.▬ Alors… tu pinces les lèvres, hésitante, avant de saisir le courage de continuer. Reste avec moi ici quelques jours, vivons quelque chose d’éphémère mais sans limites. Changeons le souvenir de notre rencontre en une histoire belle à en faire rougir le monde entier, plutôt qu’en déception hasardeuse parsemée de frustration. Ta main trouve une nouvelle fois la sienne pour la serrer tendrement. Tu n’as rien d’autre à offrir que ton cœur. Mais pourquoi ne serait-ce pas suffisant ?

Le silence te répond. Mais le temps est comme en suspens, tu ne sens pas les secondes s'écouler. Tu vois sa main libre aller à son cœur, puis remonter. Mais tu ne la suis pas du regard. Fébrile voire même tremblante par instants, tu restes immobile, patiente. Toi, tu as l'habitude des pics d'émotions de ce genre et pourtant, tu faillis encore à chaque foi alors, pour quelqu'un qui n'y est pas accoutumé, c'est normal de prendre son temps. Tu le laisses former ses pensées, ses mots, peu importe.

Le bruit de sa respiration te fait comprendre qu'il a besoin d'un moment.

Alors tu attends. La tête reposant calmement sur son épaule, tes jambes tombant lentement contre les siennes. Tes doigts s'entremêlant aux siens.

Et soudain l'attente prend fin, il se lève, te redressant à sa suite. À ses mots, tu hoches la tête en silence, suivant le mouvement avec agilité. Le drap humide oublié sur les tuiles chauffées par le soleil. Le sac à dos ramassé rapidement pour s'enfuir avec élégance. Artie est déjà parti. Prudence. Avait fait la voix de ta conscience avant son départ.

Mais avant de te laisser totalement emportée, tu le tires à toi et poses à ton tour tes mains à plat sur ses joues. Sondant ses prunelles, tu murmures de ta voix enrayée. ▬ Prépare toi Magnum D. Alysum, car pendant les prochains jours, je vais t'aimer sans retenue. Lentement, tu t'étais rapprochée, terminant ton geste par un baiser d'une douceur passionnée. Le genre qui fait perdre l'équilibre, trembler les jambes et frémir l'estomac. Accompagnés des rires, des applaudissements de la foule en contrebas et du coucher de soleil qui annonce le début de votre première nuit à deux, l'instant n'est autre que surréel.