“Voilà une bonne chose de faite !”

Seul dans la nature presque hospitalière du Royaume, Dalvo parlait à haute voix. Une habitude qu’il avait prise au fil de ses années de solitude sur West Blue et qui l’aidait à organiser ses pensées. Il n’allait pas tarder à partir de cette île. Une escale courte de quelques jours après la conclusion de son petit “différend” avec les autochtones qui lui avait permis de reprendre des forces. Ses blessures accumulées à Mercana étaient presque résorbées, encore quelques jours de repos, de repas équilibrés et d’exercices pour que tout cela ne soit que du passé.

Il était heureux cependant. Cette île qui ne payait initialement pas de mine lui avait apporté de nombreuses choses, notamment sur le plan de la médecine. Il avait pu récupérer une bonne quantité de plantes exotiques et curatives qu’il était en train de faire sécher pour des utilisations futures et avait compilé de nombreuses notes sur des moyens d’améliorer ses propres pratiques. Tellement de théorie à potasser avant de la mettre en pratique, il aurait de quoi occuper ses journées jusqu’à la prochaine île.

“Hop ! La !”

Le Big Tony l’attendait sur une plage recluse, tranquillement posé contre le sable humide. Qu’il était beau comme ça ! Mais le repos était terminé, il était l’heure de retourner au travail !

Une grande inspiration revivifia le corps de Dalvo qui prit une position classique du Tebunko, les pieds fermement ancrés dans le sol, le buste droit, les épaules solides. Quelques respiration plus tard ses mains immobiles se mirent à luire légèrement d’une aura bleuté. Inspiration, expiration. Il n’était pas question de détruire mais de répandre cette énergie dans un flux continue, presque doux. Inspiration, expiration. Le jeune pirate avait fermé les yeux pour mieux se concentrer.

Presque délicatement, il apposa les paumes de ses mains contre la proue de son compagnon de toujours. Le bois vibra doucement au contact de sa peau et des pouvoirs du fruit des tremblements puis, dans un mouvement empli d’une habitude mécanique, Dalvo commença à pousser.

Envahit par les vibrations, le Big Tony était comme un chien qui se débarrassait de l’eau sur son poil et se décrochait naturellement du sable humide dans lequel il s’était enfouit. Les secondes passèrent et bientôt Dalvo avait les pieds dans l’eau pendant que le Big Tony flottait doucement face à lui. D’un air satisfait il essuya la sueur qui perlait sur son front avant d’escalader d’un bond agile le flanc du bateau.

“Adieu Royaume Dézoizo !”

Devant le gouvernail le pirate imposa un volte face flamboyant au navire porté par les roues à aubes qui commençaient lentement à tourner, alimentées par la chaleur du moteur crapotant. Il mettrait quelques heures à quitter l’archipel qui entourait l’île mais il serait bientôt de retour sur la haute mer !

Le soleil avait bien progressé le long de sa route céleste et la fin de l’archipel était en vu. Il n’était plus nécessaire pour Dalvo de garder les mains sur le gouvernail et le regard sur l’horizon pendant quelques temps, il était temps de faire un petit tour du propriétaire. Après tout, il restait encore quelques tonneaux à ranger dans la petite cale du Big Tony.

“Voyons voir ça…”

Oh ! C’était bien vrai. Les tonneaux qui étaient restés à l’air libre étaient ceux qui contenaient les fruits et plantes à sécher au soleil. Des pruneaux, des figues et de ces fruits étranges, particulièrement malodorants qui avaient des propriétés particulières, disait les habitants de l’île. Malheureusement à cause de l’épreuve terrible qu’ils imposaient à l’odorat de Dalvo il n’avait pas pu en récupérer autant que prévu, mais si vous voulez son avis c’était déjà bien suffisant.

Pourquoi est-ce que cela lui était revenu tout d’un coup ?

Si l’on devait en croire la grimace légère sur son visage, il faisait de nouveau face à la terrible odeur. Mais pourquoi ? Il aurait mal fermé le tonneau ? Ou pire, non, impossible, ces fruits seraient encore plus puant une fois séché ? Non. Non. Et non. Il ne pourrait tolérer ça ! Sur sa banane il le jurait, il trouverait un moyen de les conserver sans avoir affaire à leur odeur !

Les mains posées sur le couvercle du tonneau Dalvo haussa un sourcil. C’était étrange, pourquoi est-ce qu’il avait l’impression que ce tonneau refusait de s’ouvrir ?

“Ah !”

Non, c’était une évidence ! Puis qu’il avait lui même fermé le tonneau pour éviter que l’odeur ne s’en échappe trop, il s’y était tout simplement trop bien pris. Quand le Numéro Un ferme quelque chose, il fallait s’attendre à de la résistance pour l’ouvrir ! Mais pas assez de résistance pour arrêter le… eh bien… le Numéro Un !

“A la une ! A la deux ! A… la… trois !”

Le couvercle du tonneau sauta haut au-dessus de la tête du pirate, arraché à son contenant, tout comme le singe. Encore une bonne chose de faite, voilà un couvercle qui avait failli brusquer son propre propriétaire !

…

….

…comme le singe ?

“MERDE ! IL Y A UN SINGE SUR MON BATEAU !”

Décrire la surprise de Dalvo dans cette situation n’était pas chose facile alors essayons de nous mettre à sa place. Vous êtes un pirate qui a vécu presque dix ans en mer. Vous avez traversé des tempêtes, rencontré des monstres et des criminels à chaque recoin que vous avez pu exploré. Vous avez voyagé, mis au défi, parfois défait mais toujours vainqueur à la fin. Vous avez passé beaucoup de temps à vous cultiver pour ne pas être pris au dépourvu par ce monde imprévisible. Vous avez étudié le corps et la médecine évidemment, mais la navigation aussi, la science derrière les navires, la cuisine, la faune et la flore, l’histoire quelque peu et enfin un soupçon d’astronomie (liste non exhaustive).

Et là un singe qui parle.

Pire encore. Un singe qui hurle à la mort des critiques sur les décisions de Dalvo et sa manière de prendre soin de sa nourriture. Des critiques évidemment infondées, probablement motivée par des émotions vives et un cerveau limité de… eh bien… de singe ? Loin de lui l’idée de remettre en cause les capacités intellectuelles d’un littéral singe, et pas d’un bonhomme proche d’un singe comme un certain sauvage, mais Dalvo n’avait pas la lucidité pour se dire qu’il avait face à lui autre chose qu’un singe.

Un singe.

Son visage retranscrivait mot pour mot ce qui lui passait par la tête. De la surprise, de l’incompréhension et une vague irritation d’avoir un animal clandestin à bord de son navire. Un animal qui parlait, certes, mais un animal quand même. Et face au clandestin, une seule chose à faire.

Dans un mutisme gênant, Dalvo tendit le bras pour attraper le littéral singe par l’épaule, le soulever et commencer à le déplacer vers le bord du pont. Direction la mer mon bonhomme. Merci. Au revoir.

L’on pourrait se demander : “mais pourquoi Dalvo ne répondait pas à ce Jack, pourquoi ne prenait-il pas mal ces critiques ?” et être surpris de son comportement presque détaché de ce conflit naissant. Mais en réalité la réponse était simple et tenait en un seul mot : singe.

“Aller hein, on est pas loin des dernières îles tu vas nager bonhomme.”

Même s’il s’adressait à Jack, au fond de lui il n’arrivait pas encore à accepter être en train de parler à un singe, donc ces mots étaient presque pour lui-même.

“A la une. A la deux. A la trois.”

Les yeux rivés sur la ligne de la mer, il attendait impatiemment le “plouf” pour pouvoir passer à autre chose. Mais même après quelques secondes le plouf n’arriva pas. Evidemment que ça n’allait pas être aussi facile ! Grâce à son agilité de singe, le singe avait trouvé un moyen de s’accrocher à la rambarde in extremis avec sa queue ou ses bras de singe.

La patience de Dalvo s’effritait lentement, comme un mur d’argile bien trop fine, déjà le stress de la navigation continue, l’odeur des fruits exotique et le SINGE QUI PARLE avaient fini d’abattre son calme olympien de numéro un.
Son sourcil vrillait. Haut. Bas. Haut. Bas. Doucement, très doucement, il baissa son regard vers le singe qui s’accrochait au-dessus de la ligne de flottaison du Big Tony.

“Tu lâches là ? Aller, aller…”

Dalvo commençait à essayer de retirer les derniers appuis du singe. Ses mains sur la rambarde par exemple. Mais ce qui aurait dû être un jeu d’enfant se transforma bien vite en une course poursuite infructueuse pimentée par des répliques bruyantes et probablement très sensées du singe qui parle.

Mais c’était un singe en fait ! Si les gens étaient surpris face à sa banane, il avait bien le droit d’être surpris face à un singe qui PARLE.

“EH OH ! TU VAS DESCENDRE OUI ?!”

“ALLER LA ! OUST ! RETOURNE SUR TON ÎLE !

“PAS DE CLANDESTIN CHEZ MOI !”

C’était parti. La chasse au singe était lancée et ça tombait bien, il était le plus grand chasseur de singe des quatre blues.

Rien n’allait plus sur ce bateau. Les singes parlaient, les capitaines n’arrivaient plus à expulser les clandestins… on ne sentait même plus l’odeur de la mer ! Dalvo était excédé par la situation et essoufflé par cette course poursuite sans queue ni tête. Ce singe avait une sacrée vivacité et une arrogance pas croyable à utiliser le Big Tony comme son terrain de jeu.

Il n’avait pas envie de juste tomber à l’eau ? “Je vais mourir si je tombe à l’eau, banane !” Une belle excuse qui ne convenait pas du tout au pirate. Certes un singe serait peut être trop bête ou trop peu entraîné pour nager jusqu’à une île. Mais un singe qui parle ? Ah ! Allez lui faire croire qu’il ne pouvait pas nager ou résoudre des équations du deuxième degré !

Ou même…

“Ok…huff… On peut arrêter… huff… de se poursuivre un instant ? Si tu me jette à l’eau je… huff… j’atteindrai pas le rivage…”

…de se transformer en singe doré géant ?

Le Big Tony poussa un hurlement guttural sous le poids de la créature dorée, penchant dangereusement sur le côté.

Si le singe s’attendait à parlementer avec un marin effrayé par la présence d’un monstre à peine plus grand que son mentor, il se mettait son gros doigt doré au fond de l'œil. M’enfin pour se mettre le doigt dans l'œil il ne fallait pas le fermer. Comment ça il n’avait fait que cligner des yeux ? Eh bien c’était son problème car l’instant d’après Dalvo avait décollé du sol pour se retrouver juste devant sa grosse tête de singe.

“VA PAS COULER MON BATEAU LE SINGE !”

Dans un mouvement aussi expert que brutal le poing de Dalvo s’écrasa comme l’imposante joue du singe dorée avec suffisamment de force pour décoller ses pieds clandestins du pont et l’envoyer voler vers le grand bleu.

“Aaaah… une bonne chose de faite.”

Le bruit du corps contre la surface de l’eau était comme une mélodie de délivrance aux oreilles de Dalvo. Il était enfin débarrassé de ce singe étrange qui parlait, se transformait et prétendait ne pas pouvoir atteindre le rivage. Avec de si grand bras il n’avait qu’à faire un peu de brasse. Ce n’était pas comme s’il ne pouvait pas nager.

Il ne pouvait pas nager ?

“MERDE !”

Dans une soudaine précipitation Dalvo sauta jusqu’au gouvernail pour faire virer le Big Tony. Il attrapa un filet, de la corde, le couvercle de tonneau retiré plus tôt et fit un rapide nœud autour de sa taille et autour du cercle de bois. Pas le temps de douter. Il jeta le couvercle dans la roue à aube entre deux pales sur le point de passer sous la protection pour éviter qu’il ne tombe à la mer avant de sauter dans l’eau.

"ESPÈCE DE GROS CON !”

Qui était-il en train d’insulter ? Nul ne le savait. Mais une chose était sûre : son regard était rivé sur la silhouette de singe qui coulait à pic à travers les eaux claires et son poing plus bleu encore que la mer. Avant de toucher la surface de l’eau et de perdre le contrôle de son corps ainsi que ses pouvoirs, Dalvo percuta la surface de l’eau.

Sa simple force ne servait pas à grand-chose, mais les tremblements brisèrent la surface de l’eau comme s’il avait frappé dans un grand mur de gelé. La seconde d’après la mer reprendrait ses droits mais pas sans créer un courant favorable. Du moins il espérait. Cinquante pourcent de chance de réussite pour un plan improvisé sur le fil.

La suite était très floue. Il s’était mis à couler comme une pierre et à se noyer avant d’être progressivement remonté par le vaillant Big Tony. Il avait repris connaissance quelques secondes plus tard, une éternité pour lui, presque en train de se faire emporter par les pales de bois, emmêlé avec un singe qui reprenait difficilement son souffle.

Les bras faibles, partiellement immergé, il trouva la force de pousser l’animal contre la rambarde avant de se hisser à son tour. Trempé et épuisé, il sectionna la corde et se laissa tomber face contre le pont.

“Qu’est-ce que tu fous ici le singe ?”

Dalvo écouta l’histoire du singe avec une attention partielle, pendant ce temps-là il s’était relevé et avait commencé à se débarrasser de ses habits trempés pour se sécher. Pas question d’attraper la mort ou une insolation le premier jour de voyage. Il avait enfilé quelque chose de simple, une chemise blanche, de celle que l’on voyait si souvent en mer et s’était séché les cheveux. Entre ça et le comportement presque touchant du littéral singe qui avait pris une forme mi-humaine, mi-simiesque, il en oubliait presque l’odeur oppressante du durian qui flottait à travers tout le bateau.

“T’as mangé un fruit du démon bizarre toi, je me trompe ? Une sorte de zoan je suppose vu que tu peux te transformer… Si tu te poses la question, moi aussi, donc compte pas sur moi pour aller te repêcher une deuxième fois. J’ai déjà perdu une belle corde et un couvercle de tonneau pour toi.”

Le pirate passa ses mains dans ses cheveux pour commencer à remettre en forme sa banane qui s’était effondrée après sa mésaventure sous-marine. Son regard se posa sur le tonneau ouvert, maintenant qu’il était ouvert ça n’allait plus marcher. Dans un soupire il attrapa le contenant de bois de ses deux bras avant de commencer à le déplacer vers l’intérieur.

“T’es vraiment pas futé pour être monté sur un bateau pirate si t’as peur d’eux. Tu t’attendais à quoi ? Qu’en te cachant sur un petit bateau tu passerais inaperçu jusqu’à la prochaine escale ? Mauvaise pioche dis donc…”

Dalvo disparaît dans la pièce unique du Big Tony avant de descendre dans le demi-étage qui servait de cale et de salle des machines pour y déposer le tonneau. Ils avaient déjà commencé à rendre leur humidité mais sans couvercle pour faire monter la chaleur ils finiraient effectivement pourri avant de sécher. La chaleur du moteur devrait être suffisante, il devrait juste faire plus d’aller retour pour s’assurer que l’humidité ne monte pas trop et les répartir correctement. Mais pour cela il avait encore le temps, il était juste inquiet que l’odeur se répande dans tout le navire désormais… bon, il ferait avec, pour l’instant il avait un clandestin.

“Règle numéro 1 !”

Sa voix traversa le bois du pont avec force le temps qu’il remontait à la surface.

“Tu touches à rien. Pas les machines. Pas mes affaires. Pas mon bateau. Tes pieds sur le Big Tony c’est déjà suffisamment une infraction à la règle numéro 1 pour que j’ai une tolérance zéro au reste.”

Sa tête coiffée d’une banane naissante venait d'apparaître de nouveau face au singe qui disait s’appeler Jack. Un nom bien humain pour un singe dis donc, il s’attendait plus à… C’est quoi un nom de singe ? Même lui ne le savait pas, après tout il n’avait jamais parlé avec un singe jusque là.

“Règle numéro 2, t’as pas ton mot à dire sur comment je navigue, comment je cuisine, comment je vis ma vie. T’as l’air d’avoir une grande gueule pour un animal qui a jamais quitté une pauvre île sauvage de South Blue, je doute que t’ai un jour fais quoi que ce soit qui te donne le droit de parler. Alors si tu veux vivre en mer et voyager, profites-en pour apprendre.”

Haut de presque deux mètres, Dalvo s’était rapproché du singe qui reprenait petit à petit son souffle et ses repères. Il était peut-être un peu dur mais il savait qu’il était important de mettre immédiatement au clair l’autorité sur un bateau. Surtout face à des clandestins. Il était déjà suffisamment généreux de ne pas avoir changé de cap pour le déposer sur le petit bout de terre le plus proche, il n’hésiterait pas à lui en coller une s’il commençait à hurler comme tout à l’heure.

“Et troisièmement, moi c’est Dalvo D. Desperado, le pirate Numéro Un de ces mers. T’as bien de la chance d’être tombé sur moi Jack le singe, tu trouveras pas meilleur capitaine sur South Blue !”

Le calme était revenu sur le Big Tony et Dalvo ne pouvait pas être plus heureux. Enfin, si, il aurait pu être plus heureux s’il n’avait pas eu un singe qui parle clandestin, mais faute de mieux, il ne pouvait pas pas être plus heureux. Le singe était resté silencieux depuis un moment après avoir prouvé qu’il n’avait rien compris aux répliques de Dalvo et avoir fait preuve de gratitude. C’était déjà ça, mais c’était pas gagné. En tout cas, le pirate à la banane avait profité de ces quelques heures pour reprendre sa routine traditionnelle.

En quelques heures il avait pu faire du ménage, vérifié l’état du navire, faire quelques exercices musculaire et de respiration, vérifié que ses fruits à l’odeur étouffante étaient bien en train de sécher, et lu quelques pages du premier des nombreux livres qu’il avait récupéré auprès des habitants Dézoizo. Une matinée bien remplie et un rythme de vie qui lui avait manqué ces derniers jours d’exploration de cette île et de récupération des blessures accumulées à Mercana.

Alors que l’équipage dysfonctionnel de deux passagers, dont un clandestin, vaquait à ses occupations, la voix du singe s’éleva depuis l’avant du navire.

“Capitaine-temporaire Dalvo. Je sais, la règle 2, tout ça, mais on devrait changer de cap, tourner vers la gauche je pense. Il y a quelque chose de mauvais là-bas, et on se dirige droit dessus.”

Dans un grand mouvement, Dalvo envoya le gouvernail tourner sur lui même pour temporiser le mouvement du Big Tony. En glissant le long du cadre d’une fenêtre il regarda ses quelques instruments, boussole, baromètre et autres gri gri de navigateurs aux noms compliqués : rien de spécial. Un coup d'œil vers le ciel peut-être ? Rien en vue, pas de nuage, un ciel bleu uniquement perturbé par le vol des oiseaux titanesques de l’île qu’il venait de quitter.

“Dit gauche a un marin le singe et il comprendra pas ce que tu veux dire ! C’est bâbord ! Et tribord pour l’autre côté ! T’as vraiment jamais navigué en fait !”

En tirant sur quelques cordages, le pirate grimpa le long des murs des étages de son bateau maison pour arriver jusqu’au sommet avec aisance. Dans un équilibre précaire, il observait l’horizon. Quelque chose de mauvais ? Un vaisseau pirate ? De la marine peut-être ? Rien du tout, il était peut-être juste paranoïaque ce singe.

Faut dire que même s’il était capable de devenir gros et doré, à la manière des paons qui se font plus imposant qu’ils ne le sont vraiment pour intimider leur prédateur, en mer et sans être capable de nager il devait être stressé. Bon, il avait interrompu la navigation mais c’était pour une bonne raison…

“Mh ?”

Originaire des eaux séraphines éclatantes de West Blue, Dalvo n’avait jamais eut l’habitude de consulter les profondeurs pour des réponses. Il faut dire que réussir à percer à jour les secrets cachés sous les premiers mètres était une tâche bien complexe alors qu’à South Blue, dans cette mer cristalline, le regard d’un homme pouvait lire aussi loin que la lumière le permettait.

Et jamais il n’avait vu de banc de thon éléphant nager aussi prestement à contre courant. C’était donc ça.

“Ah-ah !”

Dans un saut, Dalvo atterrit juste devant le Jack inquiet de leur trajectoire, faisant légèrement trembler le pont du Big Tony. D’un bond il sauta de nouveau dans la “cabine du capitaine” pour remettre le gouvernail en pleine direction du danger présumé, charger le moteur de carburant et récupérer le sabre posé diligemment contre un mur.

“C’est probablement un monstre marin ! Un serpent des mers ou quelque chose comme ça ! Probablement plus petit que chez moi, mais au vu de la taille des oiseaux dans cette région, s’il n’a pas peur de chasser aussi près de la surface, il doit être impressionnant !”

Si son discours pouvait laisser comprendre qu’il fallait éviter d’aller à la confrontation avec cette créature, son comportement hurlait le contraire. De retour au niveau de la proue, son sabre toujours dans son fourreau bleuté, il cherchait du regard sa proie du jour un grand sourire sur le visage.

“Si t’as peur tu peux aller te cacher dans la cale le singe, ça va secouer. Mais si tu veux vivre en mer, va falloir apprendre un moment ou un autre ! Changer de cap face au danger est une solution censée, généralement la meilleure, mais apprendre à y faire face est tout aussi important pour pouvoir tracer ses limites !”

Le Big Tony crapotait de toutes ses forces, l’eau clair défilant sous sa coque usée. Visiblement le singe semblait à l’aise avec l’idée de se battre sur une structure instable et fragile au milieu de ce qui était essentiellement une zone de mort assurée pour les gens comme lui. Pas très fûté et sans instinct de survie, pas mal pour un bleu sur les mers. Il irait loin ou n’irait pas du tout ! Mais d’abord…

“Toi, tu t'accroches bien.”

Il n’avait pas l’habitude de porter Eclipse à sa taille encore, mais il avait au moins de quoi l’attacher correctement. Dans un chuintement harmonieux la lame quitta son fourreau, légère, parfaitement équilibrée, elle reflétait timidement la lumière du soleil. Son allégeance à la lune était visible à quiconque s’arrêtait sur les détails de la poignée, mais ce n’était pas grave, elle savait tout aussi bien se battre de jour.

L’ombre dans l’eau se dessinait avec de plus en plus de détails et c’est à travers les eaux claires de South Blue que Dalvo put apercevoir la bête. Une créature serpentine aux couleurs pâles, les dents effilées longues comme des couteaux, les yeux jaunes vitreux rivés sur le navire du capitaine Banane.

“Alors comme ça on veut la bagarre ?”

Le sourire moqueur de Dalvo affichait sans détour son absence d’inquiétude. Des monstres comme ça, il en avait déjà mangé, et il en mangerait ce soir. Quand enfin la surface de l’eau vola en éclat, le singe fut le premier à sauter dans l’action. Il ne pouvait visiblement plus tenir en place car aussitôt qu’il avait quitté le pont il reprit sa forme d’or pour en mettre une mandale dans la gueule du terrible serpent.

“Oh bah ça…”

La mandale ne connecta jamais à sa cible, à la place l’air troublé fut traversé par une sorte d’onde de choc qui percuta la créature. Un pouvoir dérivé de son zoan peut-être ? Dalvo n’avait jamais entendu parler d’un animal qui ressemblait à un gros humain doré qui provoque de tels déplacements d’air. Probablement une créature de Grand Line qu’il n’avait encore jamais vu dans un livre !

“A TOI !”

C’était bien la première fois qu’il recevait ainsi la torche du spotlight, d’habitude il ne laissait personne lui marcher sur les pieds comme mais que pouvait-il dire ? C’était un singe, évidemment qu’il n’allait pas comprendre le rôle du capitaine

En tout cas, il ne comptait pas non plus attendre son feu vert et était prêt à intervenir dès que possible. Contrairement au macaque il n’avait pas de moyen de toucher plus loin que la portée de son arme et c’était d’ailleurs bien pour ça qu’il avait saisi son sabre. Il ne pouvait pas se permettre de quitter le confort du Big Tony.

En équilibre sur la rambarde du bateau, il n'était pas perturbé par l’attaque, la créature, elle par contre, était presque sonnée par la première offensive. Elle avait plongée de nouveau pour prendre ses distances, laissant derrière elle un léger filet écarlate. Dalvo pu admirer la créature dans toute sa longueur et il affichait un sourire comblé, avec elle il aurait de quoi manger pour plusieurs jours, si ce n’était plusieurs semaines.

“Hopla…”

Le Big Tony tanga quelques instants et Dalvo se précipita de l’autre côté de l’embarcation. Il avait senti ces vibrations comme si ce navire était une extension de lui-même, il le côtoyait depuis si longtemps, il le connaissait comme s’il l’avait fait et ce n’était pas très loin de la réalité.

Cette créature se croyait peut-être sur son propre terrain de chasse au milieu de la mer, mais elle ne pouvait pas plus se tromper. Ce vieux rafiot n’était le domaine que d’une seule personne sur toutes les eaux du monde, et malheureusement pour elle il s’agissait aussi du plus grand chasseur de monstres du monde.

Dans une attaque surprise pas si surprise que ça, le serpent quitta les eaux claires pour fondre sur le jeune capitaine et le briser d’un puissant coup de mâchoire comme une brindille. Il était si petit, bien moins impressionnant que l’autre, il devait être une proie plus facile.

Eclipse brilla quelques instants en traçant une longue et profonde entaille depuis le coin de sa gueule sur presque un mètre. Une blessure sanguinolente qui arracha un cri de douleur et de colère à la créature, un accès de rage qui serait son ultime chute.

“Tiens le bien en place le singe ! Il faudrait pas qu’il retombe dans la mer !”

Les deux bras levés bien droit au-dessus de la tête, le sabre s’apprêtait à s’abattre sur le monstre. Juste assez de force pour trancher la créature, pas trop pour éviter d'endommager le Big Tony.

Inspiration.

Expiration.

Une application des principes martiaux bien moins naturelle que son utilisation du Tebunko, pour le plus grand épéiste du monde ses réflexes étaient un peu rouillés. Peut-être bien, peut-être qu’il ne méritait plus ce titre. Mais les résultats ?

“Coup simple, Mimas Slash.”

Les résultats parlait d’eux même.

“Pfiou…”

Quelques gouttes de sueur perlaient sur le front de Dalvo après un simple coût de sabre. Le prix d’une vive concentration et de l’utilisation de tous les muscles de son corps en un seul mouvement. Posant le dos de son sabre sur son épaule, il observa son travail bien fait avant de claquer des doigts dans la direction du singe géant doré. Décidément il ne s’y ferait pas.

“Si on prend trop de temps, on va chavirer, alors tiens-le bien je vais nous débarrasser des parties en trop !”

Quelques minutes plus tard le pont du Big Tony était couvert d’entrailles poisseuses mais au moins l’équilibre de sa ligne de flottaison n’était plus en péril. La quantité de viande était impressionnante et devrait être traitée correctement avant de pouvoir être conservée… Ils en garderaient une partie pour ce soir, le reste serait à saler pour éviter de la perdre…

“Ce que je veux dire, c’est que si t’as besoin de bras supplémentaires, hésite pas, faut bien que je gagne mon séjour sur le navire, sinon je m’en voudrais !”

Le singe avait fait quelques commentaires sur le monstre, la façon de le cuisiner ou sur la répartition des tâches. Outre son avis écoeurant sur la préparation de la viande de serpent de mer, sa proposition de soulager Dalvo d’une partie de ses responsabilités sur le navire donnait matière à réfléchir.

A vrai dire c’était une première pour Dalvo, avoir quelqu’un à bord, voyager à plusieurs… Depuis qu’il avait quitté West Blue il avait beaucoup réfléchi à sa philosophie en tant que capitaine, le vieux Tony lui avait bien fait comprendre qu’il ne pourrait pas traverser la Route de tous les périls seul, il s’était donc résolu à recruter un équipage mais… Mais il ne comptait pas recruter un équipage pour soulager son dos, il n’avait pas de soucis à vivre sa vie ainsi, au contraire.

Il s’était résolu, s’il recrutait un équipage, qu’ils n’auraient rien à se soucier. Il redoublerait d’effort pour leur assurer un voyage paisible, contre vents et marées ! Comme ça il prouverait au monde entier, et avant tout à ceux qui seraient à ses côtés, qu’il était bel et bien le numéro un. Pour Jack cependant… il n’était qu’un clandestin qui allait en plus se permettre de manger ses vivres, évidemment qu’il allait devoir réparer le capitaine !

“Toi ? Tenir la barre ? Et puis quoi encore ! Tiens, attrape ce seau plutôt ! Et cette serviette ! Le pont est souillé par notre petite chasse et en mer un navire c’est comme une maison, on en prend soin. On a pas envie de se réveiller avec l’odeur de poisson pourri et de glisser sur un sol graisseux ! Du nerf !”

Les deux ustensiles avaient volé pour atterrir dans les bras du singe, il en aurait pour un moment pour sûr et Dalvo en profiterait pour préparer l'entretien des vivres. Il y avait des choses à faire, à deux seulement sur un navire juste après une telle prise ! L’envie de passer les mains dans ses cheveux démangeait le pirate à la fière banane, mais il savait que céder à cette envie serait une chose terrible alors c’est un peu crispé qu’il se lança dans ses propres tâches.

Vérifier que les fruits de durian finissaient bien de sécher, les entreposer dans le baril compartimenté des fruits secs, séparer un morceau de viande de serpent des mers, mettre le reste dans un tonneau de saumure, noter qu’il fallait penser à racheter du sel à la prochaine escale, vérifier l’état du moteur et le cap à interval régulier, prendre une douche et se changer pour être propre sur soi et à l’aise, faire du rangement dans les réserves et sortir les autres aliments du repas du soir, faire un tour du navire pour vérifier si l’attaque du serpent n’avait pas causé de faiblesse dans la structure du Big Tony, réparer quelques endroits avec des coups de marteaux experts et enfin, lorsque le soleil annonçait la fin de l’après-midi, ouvrir les valves pour qu’une partie de l’énergie du moteur bascule des roues à aube jusqu’à la cuisine.

Une journée bien remplie pour le capitaine solitaire, il n’avait pas vraiment suivi comment Jack avait occupé sa journée, mais l’odeur de poisson ne collait visiblement plus qu’à ses poils de singe, donc c’était pour le mieux. Il le forcerait à passer par la case douche plus tard.

“Hey ! Le singe ! Je vais préparer le repas, avec ce que t’as proposé tout à l’heure tu me fais peur à mourir d’indigestion à ton premier trajet solitaire, viens plutôt apprendre un truc ou deux !”

Dalvo avait sorti les différents ustensiles de cuisine des placards pleins à craquer et les avait organisés avec soin, les ingrédients eux étaient en ligne les uns à côté des autres : la viande de serpent géant évidemment, des carottes, des pommes de terre, quelques baies séchées, des herbes aromatiques et un petit fût d’huile.

Le pirate attendit que le singe lui offre toute son attention pour commencer la leçon de cuisine spéciale train de vie Dalvo. Une cuisine saine, équilibrée et qui ne gonfle certainement pas ceux qui en mangent de graisses mauvaises pour le cœur.

"Ecoute-moi bien, je suppose que c’est la première fois que tu vois une cuisine mais quand t’es en mer c’est important de donner à ton corps tout ce dont il a besoin, pour qu’il ne te lâche pas au milieu d’une tempête. A la broche c’est bien quand tu veux faire quelque chose de festif, mais trop régulièrement et tu finiras rond comme un ballon alors je vais plutôt te montrer une façon simple de cuisiner à peu prêt tout, tout en gardant le maximum de bonnes choses dans tes plats…”

Petit silence dramatique pour ajouter à l’importance de la leçon.

“La cuisson à la vapeur.”

“S’il te plaît, montre-moi comment tu fais !”

Un sourire satisfait sur le visage, Dalvo toisait Jack. Il avait une bonne lumière dans les yeux, l’envie d’apprendre, l’envie de s’améliorer. Il ne savait peut-être pas grand-chose aujourd’hui, mais demain il serait plus proche d’un vrai marin et le surlendemain plus encore. Comme des briques posées les unes après les autres, il fallait du temps et des efforts pour se construire. Dalvo n’était pas en mer depuis presque dix ans pour rien. Il avait traversé tout West Blue, rencontré des gens et des dangers qui feraient passer les oiseaux de cette île pour des animaux de compagnie, fait passer le Big Tony a travers le Red Hole et s’était élancé à la conquête de South Blue.

Tout seul.

Probablement que dans ses futurs voyages Jack finirait par croiser d’autres marins, d’autres navires, d’autres équipages. Des gens bons, des gens mauvais, des qualifiés, des gens incompétents, des marines, des pirates, des marchands, des criminels. Mais très rarement il croiserait des gens seuls en mer, c’était une certitude.

“Bien dit Jack ! Demain commencera ton voyage en tant qu’apprenti marin ! Mais pour ce soir tu vas dormir. Chaque jour est une épreuve en mer, alors négliger le sommeil c’est la certitude que dormir debout en journée !”

Le pirate à la flamboyante banane et au ventre plein se leva pour aller chercher dans la pièce d’à côté quelques draps et tissus rembourrés de plume.

“Je vais faire la vaisselle, tu dormiras ici, profite bien de tes quelques heures de repos ! Demain arrivera bien assez vite !”

Et sur ces mots la lune traça son chemin dans le ciel étoilé, chaque heure passant plus vite que la précédente. Avant de dormir le capitaine du Big Tony s’occupa de la vaisselle, des machines, des derniers fruits à sécher et de l'entretien d’Eclipse. Des activités reposantes dans un silence nocturne rythmé par le bruit de l’eau. Peut-être qu’avec un peu de temps Jack lui aussi finirait par observer le miroir de l’océan et le reflet de la lune avec le même regard que Dalvo.

Celui d’un homme qui pourrait vivre les deux pieds sur terre, devenir le plus grand nom de son village, de son royaume, de son île, mais qui refusait cette vie, qui ne voudrait être autre part pour rien au monde.

“Aller ! Debout là dedans !”

Le soleil ne s’était pas encore levé et Dalvo était déjà en train de sonner le branle-bas de combat. Il s’était réveillé il y a quelques dizaines de minutes déjà mais avait laissé Jack dormir le temps de faire ses exercices routinier du Tebunko et de prendre un peu l’eau pour être frais et faire face à cette nouvelle journée dans les meilleures conditions.

“Il est tôt mais les journées sont courtes ! Tu as cinq minutes pour être sur le pont, sinon tu repasses ta journée à faire le ménage !”

Beaucoup de choses pouvaient être accomplies en cinq minutes, alors en une journée ? Difficile de s’en rendre compte lorsque l’on n’essaye pas d’utiliser chaque seconde de son temps, mais Dalvo n’avait pas le temps de perdre son temps. Pendant que Jack sortait péniblement de son sommeil, le pirate récupéra quelques fruits et une petite boisson fraîche qui leur servirait de petit-déjeuné et quelques livres qui leurs seraient utiles aujourd’hui.

“Tu as déjà vu le soleil se lever Jack ?” les regard de Dalvo était tourné vers le ciel orangé qui laissait apparaître petit à petit la lumière royale de l’astre solaire “Il va falloir t’y habituer ! Quand on est seul sur un bateau on doit s’occuper du travail d’un équipage ! Entretien du navire, base de la navigation, trouver de quoi se nourrir convenablement et maintenir une alimentation équilibrée ! Il y a mille autres choses à savoir mais on va commencer par ça !”

La voix de Dalvo était aussi sévère que rieuse, il s’était adapté bien vite à cette position de mentor. Après tout cela tombait sous le sens : si quelqu’un était suffisamment humble pour reconnaître qu’il était face au meilleur et pouvait apprendre de lui, il n’avait d’autres choix que de s’obliger ! Et puis, il avait appris tellement de choses auprès des autres, il devait bien finir par rendre la pareil aujourd’hui.

“Ne compte pas sur moi pour y aller de main morte, tu vas regretter d’avoir voulu te lancer sur les mers !”

“Kikiki ! Si le défi de prendre la mer était simple, il n’aurait aucun intérêt, il n’y a aucun monde où je regretterai ma décision !”

Le sourire éclatant, Dalvo commença ainsi à apprendre la vie de marin à Jack, le singe qui parle. La navigation, l'entretien du navire, la gestion des vivres, l’importance de la corde, discerner les détails de l’horizon et tant d’autres choses. Les connaissances encyclopédiques que Dalvo avait accumulées durant ses années de navigation sur West Blue prennaient soudainement une toute autre valeur lorsqu’il avait l’occasion de les partager en plus de les appliquer !

Jack était un bon élève, il apprenait vite. Il n’était peut-être pas le plus brillant des singes que le pirate avait rencontré, mais au moins il était attentif et prêt à mettre les efforts nécessaires pour progresser. S’il y avait bien une chose qui était importante dans ce monde, c’était bien l’effort. Dalvo était le meilleur donc il n’avait pas à s’en soucier, mais pour tous les autres c’était une qualité indéniable capable de les porter jusqu’aux plus hauts sommets !

En pensant à ça, ses souvenirs lui rappelaient la jeune marine qu’il avait croisée quelques semaines plus tôt, pour sûr une gamine qui avait mis tous les efforts du monde pour devenir forte, et qui continuerait à progresser. Jack lui faisait un peu penser à elle, en moins coloré, exubérante et doué pour le combat mais l’esprit, la volonté, c’était bien ça qui rapprochait ces trois jeunes âmes perdues sur les mers.

Vivre avec le petit singe, même si ça n’était que quelques jours, changea la vie de Dalvo le temps que ça a duré. Tony lui avait dit “forme un équipage, trouve des compagnons” et pour la première fois qu’il naviguait en compagnie d’un autre marin, Dalvo s’interrogeait. Est-ce que c’était ça que d’avoir un camarade, un début d’équipage ? Est-ce que Jack était l’un de ceux dont parlait Tony à Toroa ? Est-ce qu’il devait lui proposer de voyager avec lui ?

“Terre en vue, cap’taine, et on dirait qu’y a des humains qui habitent près de la côte ! C’est ça un port ?!”

Les cris de macaque de Jack tirèrent Dalvo de ses pensées, le forçant à raffermir sa prise sur le gouvernail pour passer à travers les récifs des alentours de l’île qu’ils approchaient. C’est vrai que pour le singe c’était la première fois qu’il voyait un port, la fin de son premier voyage se profilait sous ses yeux, il devait être heureux !

“Je crois que c’est là qu’on se sépare ? Merci pour tout, je te rendrais la pareille un jour !”

Heh, c’était donc ça la source de l’hésitation de Dalvo. C’était ça la raison qui l'empêchait de voir Jack comme un potentiel membre de l’équipage qu’il formerait en temps et en heure. L’air un peu solennel, Dalvo claqua des doigts bruyamment avant de chasser son air morose d’un sourire qu’on lui connaissait si bien.

“C’est ça Jack ! C’est la fin de ta première traversée en mer ! Ton prochain objectif ça sera de trouver ton propre navire et de commencer ta propre aventure ! Je suis sur qu’on se recroisera en mer, sur celle ci ou sur une autre ! Trouve toi un équipage, parce que sinon tu vas couler bien vite, et fais tes preuves ! T’as ce qu’il faut dans le ventre pour tracer ton chemin ! Et un jour tu me racontera tout ça, si tu me cherches, je serai au sommet. Je te l’ai pas dit mais je suis en train de faire deux tour du monde, je commence par les quatre blues, puis je ferai le tour de la Route de tous les périls. Si tu veux vraiment me rendre la pareille un jour, fais le vite ou prépare toi au pire !”

Jack était comme lui, comme Anémone, comme ceux qui avaient encore la flamme dévorante de la volonté qui les poussaient à aller de l’avant. Aux côtés du pirate à la fière banane, il ne ferait que brûler dans l’ombre d’une flamme plus grande que lui, il n’aurait pas l’opportunité d’écrire son nom sur les pages de l’histoire du monde. Dalvo était fier, il était le Numéro Un après tout, mais il ne piétinait pas sur la volonté de ceux qui méritaient son respect !