“Krriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !
- Oh…! Tais… Haa… Toi !”
Le poing de Dalvo nimbé de l’énergie du fruit des tremblements s’écrasa contre l’épaisse peau écailleuse de l’immense patte de l’oiseau. La créature était si grande qu’un simple coup de poing de Dalvo, engourdi par le manque d’oxygène, même renforcé par les pouvoirs destructeurs de son fruit du démon, n’était pas capable d’infliger de blessure grave. L’oiseau écarta les griffes dans un réflexe reptilien face à la douleur pour se libérer de cette proie un peu trop virulente pour un simple repas.
De simples chiffres ne pouvait pas rendre justice à la distance qui séparait Dalvo du sol de l’île mais l’impression de se retrouver en suspension dans le néant l’espace d’un instant, puis de se sentir comme aspiré par une créature vorace et inéluctable l’instant d’après était capable d’inspirer la terreur dans le coeur du plus valeureux des hommes. Ou bien de le pousser toujours plus loin vers le sommet, vers ses limites encore inconnues.
Dans un réflexe tout aussi instinctif que celui de l’oiseau, Dalvo attrapa la griffe la plus proche pour ne pas chuter jusqu’à sa mort. La serre était lisse et les moins moites du pirate glissèrent de longues secondes alors qu’il les refermait de toutes ses forces. Pas question de tomber victime d’une chose aussi simple que la gravité.
Au seuil d’une mort longue à la chute décevante, les bras usés par l’effort du pirate le hissèrent jusqu’à la patte de l’animal pendant que celui-ci se débattait. Son vol chaotique s’était éloigné de l’arbre, et avec, tous les espoirs de Dalvo de se retrouver sur un sol stable pour se battre. Rester accrocher était bien plus dur que l’ascension de l’arbre jusque là, la force de chaque mouvement de l’oiseau était comparable à une vague capable de renverser le Big Tony.
“Du… calme !”
Sous l’abdomen vulnérable de l’oiseau et dans un équilibre précaire, Dalvo assena trois coups pareils à trois coups de feu précisément dirigés vers des organes particulièrement exposés… du moins sur les oiseaux normaux et lorsque Dalvo est dans un état correct… autant dire que le résultat n’était pas à la hauteur des attentes. Il fallait s’y attendre, la créature était bien trop grosse pour que des coups normaux, même capables de fendre la pierre, l’atteignent.
“KRRIIIIIIIII !”
Le bec aussi massif qu’acéré manqua de transpercer le torse de Dalvo. Si les poings du pirate étaient capable d’ébrécher la pierre, ce bec aurait probablement pu tordre une plaque en acier. Mais heureusement pour lui, l’alpiniste en herbe était bien plus souple que le métal et en avait profité pour s’accrocher à la tête du volatile. Il avait peut-être du mal à frapper de toutes ses forces, mais il n’avait pas besoin de taper dur, seulement de taper juste.
Son poing s’illumina d’une lueur bleue voilé par l’éclat omniprésent du soleil alors qu’il dévalait à toute vitesse le cou de la bête en passant par dessus sa tête après s’être appuyé d’un pas sur son bec d’un noir profond. Le souffle court, ses yeux n’étaient pas moins vif et cherchaient le point qui serait la cible de son prochain coup, l’intersection entre les ailes et la colonne vertébrale de la bête. Habituellement la difficulté était de trouver une zone si précise dans des créatures trop petites pour qu’elle soit bien distincte, ici le problème était inverse mais pas impossible. Surtout pas pour Dalvo. On est pas le numéro un pour rien.
“Lunar Strike !” grande inspiration “Full moon !”
Une frappe précise portée par ce qu’il restait des forces de Dalvo, qui se répandait dans le corps de l’oiseau titanesque comme une réaction en chaîne. Cette attaque n’avait pas pour vocation de le blesser, de le faire souffrir ou même de le tuer, simplement de paralyser les muscles moteurs de ses ailes.
Et ainsi provoquer leur chute à tous les deux.
Prêt à ce qu’il allait arriver, Dalvo s’accrocha immédiatement aux épaisses plumes de la créature qui, elle, n’était pas prête du tout. La Pleine Lune ne durerait pas plus de trente secondes, probablement moins sur une créature aussi grande, mais c’était suffisant pour les faire chuter sur des dizaines de mètres chaque seconde, et provoquer une panique terrible chez l’oiseau. Lorsqu’au bout de 22 secondes et plus d’un kilomètre de chute libre, l’oiseau gigantesque regagna l’usage de ses ailes, la jungle et les racines de l’arbre étaient bien plus distincte.
Les premiers battement d’ailes étaient aussi incertains que les balbutiements d’un nouveau né, mais suffisamment stable pour permettre à Dalvo de retrouver un certain équilibre. Rapidement il remarqua la proximité avec la terre, la distance magistrale de leur chute et toute la progression qu’il avait perdu. Mais il remarqua autre chose : la crispation soudaine de ses muscles et le poids terrible qui afligeait soudainement sa poitrine.
C’était donc ça.
Dans un réflexe presque aussi rapide que la réalisation de ce qui était arrivé à ce pauvre homme, Dalvo appuya sur les trois points vitaux qui régissaient la routine du Réveil, poussant son corps à se noyer dans une vague d’adrénaline. Son coeur, déjà excité, battait à un rythme désormais effréné, faisant circuler le sang a une vitesse folle à travers tout ses muscles.
“Désolé mon pote ! Je vais pas remonter finalement !”
Le poing de Dalvo continuait de résonner avec l’onde bleuté et s’écrasa sans plus de cérémonie sur deux centres nerveux de la bête. Cette fois ci pas question de paralyser ses ailes, c’était l’assurance de s’écraser, l'assommer de douleur pour la forcer à se poser par contre, c’était plus dans ses plans.
“KRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !”
Le hurlement déchirant de l’oiseau l’accompagna durant toute la descente inéluctable jusqu’à la canopée de la jungle du royaume Dezoizo pendant que Dalvo s’accrochait corps et âme à la bête qui se débattait comme jamais elle ne s’était débattu, et battait de l’aile plus mal qu’elle ne l’avait jamais fait. L’impact sourd de l’oiseau dans la jungle se fit entendre à travers toute l’île qui n’était pas si grande que cela vu du ciel et de nombreux arbres périrent pour permettre à la paire tombée du ciel de d'atterrir en sécurité.
Une sécurité toute relative.
Surtout pour l’oiseau.
Autant dire qu’il n’était pas prêt de se relever.
Dalvo lui était en feu. Son corps était incapable de s’arrêter de fonctionner et cela tombait bien : il devait foncer sauver la vie d’un pauvre bonhomme !
Sa course effrénée le guida jusqu’aux portes du village des autochtones et c’est sans s’arrêter aux gardes qui le menaçait qu’il traversa les portes. Vite. Vite. Vite. Il devait trouver l’endroit ou son patient était installé, probablement avec une aide respiratoire ou quelque chose pour l’aider à respirer face à ses prétendus troubles respiratoires.
“ARRÊTEZ ! ARRÊTEZ TOUT DE SUITE !”
Dalvo, les mains contre l'encadrement de la petite hutte, était haletante. Son cœur avait du mal à se calmer et son attention était complètement dirigée sur l’homme alité et ses médecins.
“Ce n’est pas une allergie ! C’est de l’hyperoxie ! Un trop grand afflux d’oxygène dans le sang à cause des effets des plantes que j’ai ajouté sur le système respiratoire. Il n’a pas besoin de plus respirer, il a besoin de moins respirer ! A vouloir l’aider vous êtes en train de le tuer !”
La surprise des docteurs fut d’assez courte durée pour éviter à Dalvo de se faire emporter par les habitants enragés du village de voir le fauteur de trouble semer plus de chaos. Cependant ses paroles semblaient avoir un fond de vérité, on lui accorda donc le droit de continuer ses explications.
“Je n’y ai pas pensé en réalisant ma version du remède, mais votre constitution est très différente de celle des habitants des autres îles. Elle est adaptée à pouvoir gravir l’arbre au centre de votre royaume si besoin, même si la présence des oiseaux vous empêche d’y accéder librement je présume. Ce trait doit subsister encore dans une partie de votre population même s’il disparaît petit à petit. Ceux d’entre vous qui ont encore cette constitution doivent ressentir des difficultés chronique à respirer correctement, non pas parce qu’ils manquent d’air, mais parce qu’ils en ont trop, comparé aux hauteurs de l’arbre.”
La respiration de plus en plus calme, Dalvo semblait aussi de plus en plus pâle, épuisé par la redescente de l’adrénaline.
“Le remède que j’ai concocté contient aussi des vertues qui facilitent la respiration pour aider à la circulation sanguine et à l’activité cardiaque… mais sur quelqu’un avec ce facteur génétique le surplus d’oxygène a provoqué une réaction d’hyperoxie… qui ressemble en tout point à une crise allergique respiratoire… donnez lui un traitement de relaxation musculaire, retirez lui ce qui l’aide plus encore à respirer et il devrait aller mieux dans quelques heures…”
Ouf, la fatigue commençait vraiment à le rattraper. Il se trouve que lui aussi été passé en une journée d’un extrême à l’autre… deux fois.
“Mon remède est donc bien meilleur que celui qu’on m’a présenté en arrivant… simplement… pas adapté au patient… censé… le prendre.”
Et voilà ce qu’on récolte à pousser son corps par delà ses limites. Une bonne syncope. Et la gratitude d’un peuple qui voulait vous empaler par vengeance quelques heures plus tôt.