le son du silence
ft. Dalvo D. Desperado // flashback // arc : 0
Toroa n’est toutefois pas que bonne humeur et légèreté. En effet, les plus observateurs peuvent rapidement se rendre compte que toutes les cités ici sont lourdement fortifiées. La nuit tombée les gens continuent la fête, mais l’ambiance y semble plus tendue. Et même s’ils chantonnent, les nombreux gardes perchés aux tours et murailles des villes restent plus qu’alerte, leurs regards rivés sur les épaisses forêts de l’île.
Depuis quelques jours ces derniers se font plus soucieux, des rumeurs concernant une étrange créature flottent dans l’esprit de la populace. On parle de bétails dévorés, de bruits terrifiants entendus aux abords des bois et récemment des disparitions. Le peu de témoignages ne permettait pas de se faire une idée claire de la bête : certains disent avoir vu un serpent immense et poilu, d’autres un singe blanc et puant. Une seule chose est sûre, c’est que ce monstre s'est tapi quelque part sur l’île et ses intentions sont de toute évidence belliqueuses. Tous essayent de faire fi de la peur insidieuse que cette présence malvenue, mais ce soir… Ce soir, la Lune serait pleine. Ce soir, les villes seraient muettes. Ce soir la bamboche, c’est fini.
Alors que le soleil se couche, que les citoyens s’enferment et que les villes se murent dans le silence, bien loin de toute cette atmosphère d'inquiétude, un homme. Ou presque. Presque parce qu’il n’a à peine que dix-sept ans. Presque parce qu’il est tout sauf un homme. Bastard erre dans le bois, le visage barbouillé du sang de sa dernière victime, un lapin. Il ne sait pas où il est, ni depuis combien de temps. S’il avait plus d’un neurone, il se souviendrait du naufrage sur cette plage paradisiaque. Du vieux pêcheur l’ayant sauvé. De l’odeur de son sang, du goût de sa chair et du bruit de ses os craquant sous ses crocs. La seule chose qu’il sait, outre qu’il a encore faim, est qu’il n’aime pas cette île. Il n’est pas seul ici, il y a d’autres comme lui, des sans-crocs. Le cannibale ne tient pas spécialement dans son cœur les autres humains, mais les habitants de Toroa éveillent en lui quelque chose de particulier : la colère.
Car, depuis que le destin l’a posé sur cette île Bastard n’a pas pu faire une seule et unique chose : Dormir. Pas une seule fois il a fermé l'œil en ce qui fait maintenant une semaine. Cette foutue île est bruyante, trop bruyante. De jour comme de nuit. Pas le bruit naturel des bêtes et de la nature, non, non, non. Le bruit de ces abrutis de sans-crocs. Ils gueulent, sifflent, meumeument tout le temps. Tapent, soufflent ou font glisser leurs doigts fragiles sur tant d’objets qui eux aussi prennent part au vacarme. Tout. Le. Putain. De. Temps. Aucun foutu son sur cette île maudite n’est naturel et ça, Bast ne peut le supporter. Dès qu’il se pose quelque part, qu’il essaye de laisser la fatigue prendre le dessus, son instinct le pousse à rester alerte parce que Roger a lâché un rift 100m plus loin. Il a bien essayé de s’éloigner un maximum des villes, ces lieux terribles où tous ces faibles et fragiles sans-crocs se réunissent. Mais nul part, NUL PART, a-t-il trouvé son bonheur. Même ici, dans la forêt la plus épaisse et reculée de l’île, les douces notes d’une mélopée lointaine résonnent.
Pourquoi ne part-il pas vous me direz ? L'idée ne lui est pas encore venue, tout bêtement. Oui, oui, c’est terrible d’être aussi con. Déjà que le pauvre garçon ne part pas avantagé, ce n’est pas maintenant qu’il est en total manque de sommeil qu’il parviendrait de lui-même à trouver une solution à son problème. Enfin, une solution viable, j’entends. Car présentement Bast prend le problème à deux mains et essaye de le régler. Rien de bien complexe rassurez-vous. Il essaye juste de se fracasser la tête contre un rocher en espérant s'assommer. Ou plutôt sa tête fracasse des rochers, encore et encore, sans trouver de challenger suffisamment solide pour le mettre au tapis. C’est ce qu’il fait, dans son coin de bois de plus en plus sombre, alors que les astres pointent le bout de leurs nez dans le ciel bleu foncé. Et vu qu’il entend de moins en moins de musique, il semble encouragé à continuer sur sa lancée…