Jackpot !
L’immense majorité du temps, la petite ville de Yotsuba était un endroit tranquille. Ces rues serrées les unes contre les autres, qui recouvraient presque entièrement l’île éponyme, étaient bien représentatives de l’image que le monde se faisait d’East Blue : un endroit silencieux, sans histoire, sans épopée. Un endroit dénué de grandeur, mais aussi de terreur. Bref, un havre de paix pour ceux qui n’avaient pas le goût de l’aventure. Bien entendu, comme tout préjugé digne de ce nom, il fallait que, de temps à autres, un jour chaotique au possible se présente pour le remettre en question. Le jour ensoleillé où Norcross Francis fut engagé par le colonel de la Marine locale pour un contrat était un de ces jours.
Sous le vaste ciel bleu, parsemé de rares nuages de coton, une évasion de masse avait eu lieu dans la prison de Yotsuba. De nombreux criminels, des plus médiocres délinquants aux quelques rares individus vraiment dangereux enfermés ici, s’étaient déversés dans les rues de la ville comme une vague de chaos pour se précipiter vers le port et très littéralement mettre les voiles. Certains d’entre eux, plus enhardis, plus revanchards ou simplement plus bêtes que les autres étaient restés en arrière, désireux de prolonger la pagaille qu’ils répandaient sur l’île et de faire payer aux habitants innocents le prix de leur incarcération.
Malheureusement pour eux, la population de ces rues ne se cantonnaient pas aux habitants innocents de Yotsuba.
«
Vous devriez aller vous mettre à l’abri, le temps que les choses se calment, monsieur.- M-merci, petit gars ! T’es sacrément fort, en tout cas ! »
Norcross inclina légèrement la tête sur le côté, l’air vaguement incompréhensif de celui qui ne comprend pas la remarque qui vient de lui être faite. Sur les ordres du colonel de la base locale de la Marine, il s’était rué dans les rues de Yotsuba pour arrêter autant de fugitifs que possible avant que les dégâts collatéraux ne s’accumulent. S’assurant d’un coup d’œil que le vendeur de tapis et sa petite famille se réfugiaient bien chez eux, le garçon tourna ensuite son attention sur les deux évadés inconscients au sol et celui, encore gémissant de douleur, qu’il tenait par le sol, son corps traînant sur le pavé de la rue. S’accroupissant lentement, il releva le col du criminel pour le forcer à lui faire face.
«
Dis, tu voudrais pas me dire dans quelle direction est parti Morgan ? Il inquiète les gens du coin, il faudrait vraiment que je lui mette la main dessus.- V… Va en enfer… Fumier… » maugréa simplement l’interrogé, crachant difficilement son fiel à travers des dents cassées.
«
Ah, dommage. »
Un coup de pommeau sur la tempe pour l’envoyer au pays des rêves plus tard, Norcross se relevait, reprenant sa démarche titubante à travers les rues de la petite ville. La requête de la Marine était très claire : la capture de Morgan passait avant toutes les autres. Il faisait quelque chose de particulièrement dangereux, mais Norcross n’arrivait pas à remettre le doigt dessus ; ils avaient dit que c’était quoi sa spécialité, déjà ? Le papotage et les sièges exhaustifs ? Non, ça n’avait aucun sens, il avait dû mal entendre. Ecouter les mots du colonel auraient sans doute été intelligent, pour cette fois-ci.
Ce n’était pas une mauvaise chose en soi, que le jeune épéiste mette hors d’état de nuire les fugitifs qu’il croisait, surtout maintenant que ceux-ci purulaient partout dans la ville. Mais s’il continuait à gaspiller sa force pour s’occuper du menu fretin, il risquait de se retrouver inutilement fatigué face à Morgan en personne, et cela pourrait bien lui coûter cher. Il valait mieux rester prudent, si même les soldats craignaient cet homme.
«
Voyons voir, si j’étais un criminel en fuite, où est-ce que j’irais, en premier ? » Levant la tête, il dirigea son regard vers la prison, loin en haut de la colline, les sons de l’alarme résonnant jusqu’à ses oreilles. «
Hmm… Le plus facile pour courir vite, c’est de dévaler la pente de la colline. On va commencer par en bas, on remontera ensuite. »
Le choix de sa direction établi, Norcross fit un pas en avant – un pas qui ressemblait dangereusement à une chute, comme à son habitude – et, la main sur son sabre pour s’assurer que celui-ci ne lui échapperait pas, s’élança à vive allure en direction des bas quartiers, bien décidé à mettre la main sur le plus dangereux des fugitifs avant qu’il ne soit trop tard. Se glissant dans le labyrinthe de rues que formait la partie la moins favorisée de Yotsuba, il filait tout en tendant l’oreille, attentif au moindre son qui pourrait lui indiquer un expert du papotage.
Alors qu’il débarquait sur une petite place, il vit l’un des fugitifs – un simple délinquant dont il avait vu le portrait quand on l’avait convoqué dans la prison – face à une petite fille. Désireux de ne pas gâcher plus de temps, il ne lui fit pas la faveur d’une sommation. Plaçant sa main sur la garde de son arme, il prit son essor, bondissant droit vers l’homme de grande taille. Un son mat plus tard, le fourreau de son sabre frappait sa cible sous les côtes, chassant l’air de ses poumons et le plongeant dans le monde des rêves. Les yeux gris acier de Norcross se posèrent sur un point vague, situé au-dessus de l’épaule droite de la gamine.
«
Tout va bien ? »
Pour toute réponse, celle-ci tendit un bras dans une direction derrière elle.
«
J’ai vu le vilain, Morgan. Il est parti par-là, dans les gros égouts. »
Pensif, Norcross se gratta le menton. La chose raisonnable à faire, c’était de renvoyer l’enfant à ses parents, n’est-ce pas ? Il serait terriblement inconsidéré de l’emmener avec lui pour pouvoir suivre ses indications, quand bien même cela augmenterait ses chances de retrouver le dangereux criminel plus rapidement.
Tout cela pour dire que, quelques minutes plus tard, Norcross s’enfonçait dans les profondeurs des égouts de Yotsuba avec une petite fille fermement accrochée à son épaule pour ne pas le ralentir.