“Où est le Big Tony ?
- Hum, c’est donc ça le nom de cette épave ? Comme si j’allais…”
Le capitaine Weaver coupa sa phrase et leva son arme en voyant le délinquant continuer à avancer dans sa direction, insensible à ses mises en gardes. Il ne pouvait pas relâcher son attention face à l’homme qui avait mis à mal sa garde entière. Les seuls hommes qui l’accompagnaient encore étaient tremblants comme des feuilles et certains étaient à peine remis du choc du face à face entre ce pirate et cette Anémone.
Pas après pas, la distance entre les deux hommes s’effaçait et l’air meurtrier sur le visage du pirate ne semblait pas disparaître.
“Tu ne me laisse pas le choix ! Je…
- Ce navire a traversé tout West Blue, survécu à des tempêtes qui feraient couler votre île minable, résisté à des affrontements contre des pirates et des monstres qui pourrait faire tomber votre pitoyable royaume aussi facilement que je me suis échappé de votre prison, il a plus d’histoire que toutes vos sales tronches réunies.”
Sans prêter attention à l’arme dressée du soldat, Dalvo s’était placé au plus prêt sans jamais le lâcher du regard. Les bras menottés en évidence le long de son torse, il semblait sans défense face au Capitaine Weaver mais ses mains… ses mains continuaient de gronder et de luir de cette aura surnaturelle. Il ne comptait pas se rendre. La prise du capitaine sur la poignée de son arme se raffermit. Les hostilités n’avaient pas débuté mais elles ne tarderaient pas.
“Si je retrouve la moindre égratignure dessus je vous assure que je quitterai cette île avec beaucoup moins de civilités… HEY ! TOI LA !”
Sans décrocher son attention du capitaine de la garde, le pirate venait d’apostropher un garde complètement inutile qui trainait sur le côté.
“Va chercher mon navire ! Si tu tardes trop, je ne garanti pas de l’état de ton capitaine.
- Ne l’écoute pas ! Espèce de vaurien tu n’a donc aucune limites–
- Tais-toi, tu risques gros là.”
Ces mots avaient presque été murmurés dans l’ombre du mouvement qui venait d’amorcer le combat. Les paumes ouvertes et résonnantes s'étaient rapprochées de son menton en un instant. Heureusement pour le capitaine, les mouvements du pirates étaient suffisamment usés par la fatigue pour être simples au possible. D’un mouvement rapide il plaça son épée contre la chaîne qui liait les deux poignets, bloquant le coup dans sa lancée avant de tenter de l’abattre sur le criminel qui avait choisi la guerre.
La puissance de la lame et de ses bras était indéniable, pour un humain. Dalvo l’avait dit, il avait pris l’habitude d’affronter des monstres.
Avant que la lame à double tranchant ne vienne ouvrir son crâne, Dalvo écrasa ses paumes de part et d’autre du plat de l’épée. Un applaudissement uniquement et étrangement tonitruant. L’instant d’après la lame vibrait de façon incontrollée, fermement tenue d’une extrémité par le pirate pendant que l’autre côté n’était pas prêt à sentir ses bras envahit de tremblements déchirant qui prenait d’assaut les os, les muscles, les articulations du vétéran.
Dans un cri de surprise le Capitaine Weaver lâcha la garde de son épée dans un mouvement de recul, pensant trouver un instant de répit pour comprendre ce qui venait de se passer et les capacités maudites de son adversaire.
Comme si ça allait se passer comme ça.
Profitant du chaos des pensées de son adversaire Dalvo se précipita de nouveau à son niveau, avant de tenter d'abattre ses deux bras sur ses épaules, à la manière d’une certaine marine. Les deux mains de Weaver le stoppèrent avant l’impact, la chaos n’avait pas duré longtemps… mais juste assez longtemps. D’un coup sec il ramena ses bras dans sa direction et avec eux la tête du capitaine pris par la chaîne derrière sa nuque.
Et le genou du pirate en plein dans le visage.
Un craquement morbide se fit entendre. Heureusement pour lui Dalvo ne savait pas encore utiliser les pouvoirs de son fruit du démon sur son corps entier. Le commandant tomba à genou, les mains sur le sol, les yeux rivés sur la terre du port et le sol qui s’y déversait, trouvant sa source dans son nez cassé.
“Espèce de sale…”
Le pied de Dalvo percuta de nouveau sa mâchoire endolori pour mieux l’envoyer rouler vers ses hommes. Le Capitaine Weaver était un homme fort, plein d’expérience mais il avait deux faiblesses qui semblaient le condamner. C’était un homme. Un homme face à un monstre. Le regard des gardes ne trompaient personne, ils étaient terrorisés par les prouesses que ce pirates aux portes de la fatigue et de l’inconscience continuait à réaliser. Aux pouvoirs surnaturels qu’il maniait. Mais surtout, le Capitaine Weaver manquait de conviction.
“Tu penses que tu vas t’en sortir comme ça ! Je suis le capitaine de la garde de cette île ! Tous les habitants sont… tous les habitants sont sous ma protection…
- ET MOI JE FAIS LE MÉNAGE SUR VOTRE ÎLE POURRIE ! RÉVEILLEZ VOUS UN PEU !
- Tu ne feras pas plus de dégats… pirate !
- De la d'où je viens, vieux croulant, une île comme la vôtre se ferait manger toute crue par le crime ou la piraterie. Va falloir faire plus d’effort que ça !
- Je suis…
- LA FERME ! JE M’EN FOUT DE TON NOM, TON TITRE, TON HISTOIRE ! JE SUIS DALVO D. DESPERADO ! LE NUMÉRO UN DES CES MERS ! J’AI PAS DE TEMPS À PERDRE AVEC TOI !”
De nouveau debout le capitaine Weaver serrait les dents. On lui avait ramené son arme qu’il serrait de toute ses forces, les doigts envahis de fourmies, les bras engourdis par l’attaque étrange précédente du pirate. Il n’y avait plus rien à dire, plus de place pour l’échange, plus personne pour l’écouter ressasser un honneur d’argile. Mais il n’allait pas s’arrêter pour autant, il n’y avait plus qu’une chose à faire : abattre ce pirate une bonne fois pour toute !
Dans un cri guerrier le capitaine de la garde de Mercana fonça en direction de Dalvo qui semblait peiner à garder son équilibre, la respiration lourde, il avait dû dépenser ses dernières forces dans leur précédent échange.
“Espèce d’idiot.”
La lourde épée fendit l’air. Un coup de taille qui aurait pu trancher en deux un homme lambda. Un coup que Dalvo put suivre du regard du début à la fin. Qu’il était lent ce capitaine de la garde lorsqu’on avait affronté un homme loup un soir de pleine lune. L’épée glissa le long de son torse, dessinant une fine ligne rouge sur son torse à travers ses restes de vêtements. Un coup dans lequel le capitaine avait mis toute sa force et qui le laissait complètement vulnérable.
Dans un mouvement lent et disgracieux Dalvo se précipita dans la garde de son adversaire, ses deux mains brillantes de l’énergie du Gura Gura.
“New Moon.”
Deux impacts simultanés sur la cuirasse métallique, un coup de tonnerre rugissant et l’instant d’après, un vieil homme en train de traverser le ciel du champ de bataille.
Et accessoirement, les secondes suivantes, le pied d’Anémone en plein dans le visage.
Boum.
Boum.
Et Bung.
Deux roulades en arrière presque contrôlées suivies par un impact imprévu contre un mur. Pas de chance.
Toujours perdu entre la colère et la fatigue, Dalvo n’était pas très heureux de ce coup en pleine poire. Heureusement son humeur allait rapidement changer. D’abord, il se releva en vitesse pour éviter d’être pris au dépourvu par une pluie de garde avide d’exploiter un moment de faiblesse. C’est là qu’il vit que ce n’était pas n’importe qui qui venait de le mettre au sol.
C’était la Lieutenant Anémone D. Victory.
Même s’il avait une bonne mémoire, il était rare pour lui de se souvenir avec autant de vivacité du nom de l’un de ses adversaires. La jeune marine lui avait vraiment fait une forte impression. Il faut dire qu’il n’avait encore jamais rencontré de soldat du gouvernement mondial avec un tel esprit ! On retrouvait ce genre de flamme folle dans le coeur des aventuriers, des explorateurs et des pirates pleins d’ambitions. Mais pour Dalvo l’existence d’Anémone changeait sa vision complète de la Marine.
D’une faction lointaine et brumeuse, un simple obstacle anonyme sur sa route, les gardiens des mers venaient de gagner un visage à ses yeux. Un visage rose, souriant, marqué par l’effort et l’envie de réussir, d’atteindre les étoiles, que Dalvo serait toujours heureux de croiser en mer, il en était sûr.
Et comme pour renforcer cette impression, elle riait.
En s’autorisant une seconde pour souffler après avoir compris qu’il était l’heure de sa revanche, Dalvo tourna le regard vers le port. Nouvelle raison de sourire. Il pouvait voir la vieille carcasse du Big Tony avancer doucement dans leur direction. Quelle bonne nouvelle. Probablement qu’un garde soucieux du bien être de son capitaine avait décidé de désobéir aux ordres pour lui sauver la vie. Peut-être restait-il encore un peu d’espoir dans cette ville ?
“Je suis désolée… C’était vraiment trop drôle. Allez viens, je te ramène en prison…”
Un peu de lassitude, des éclats de rire cristallisés dans des larmes de joie, une fatigue indéniable héritée de l’affrontement de la veille et des efforts du jour. Beaucoup de certitude pour une si jeune femme. Mais comment lui en vouloir ? Il est vrai qu’elle avait gagné leur combat précédent.
“Désolé Anémone D. Victory ! Mais aujourd’hui je vais devoir quitter cette île ! Ne t’inquiète pas ! Je ne compte pas fuir notre affrontement mais prépare toi à mordre la poussière !”
Un sourire éclatant sur ses lèvres boursouflées et son visage ensanglanté, heureusement que sa banane tenait encore fièrement sur son crâne probablement trop abîmée pour être bien portant. Dans un semblant de garde, il fit cliqueter les chaînons de ses menottes comme pour juger de l’espace entre ses poings avant de se mettre en position.
“Aujourd’hui je vais devoir y aller à fond ! Garde les yeux grand ouverts Anemone D. Victory ! Sinon tu risques de ne pas te relever avant un moment !”
La jeune marine eut un grand rire confiant plein d’enthousiasme avant de se lancer sur le pirate. Quel plaisir que de terminer son passage sur cette île sur une telle revanche !
Malheureusement pour Anémone, le jour n’était pas encore venu pour décider d’un ultime vainqueur entre ces deux là. Si elle avait gagné leur affrontement de la veille, il était temps d’équilibrer les scores, jusqu’à la prochaine fois.
Tout fut terminé en un instant. Anémone fonça à travers l’arène providentielle, s’enfonçant dans le sol comme un poisson dans l'eau, sa vitesse était bien plus importante que tous ses déplacements de la veille. Alors comme ça elle aussi était maudite ? A moins que ça ne soit une capacité des hommes poissons que Dalvo ne connaissait pas encore.
Quoi qu’il en soit la voilà qui s’était élancée hors de l’eau, propulsée par un violent battement de jambe qui donnait presque l’impression qu’elle s’était envolée, mains jointes dans un marteau tout puissant prêt à assommer Dalvo sur le coup et le renvoyer à la case prison.
“VICTORYYYYYYYY…
- METEOOOOOR…”
Les poings fermés de Dalvo résonnèrent de nouveau du grondement des entrailles de la terre, révélant l’as dans sa manche à son adversaire. La lumière était puissante, aussi éclatante que la volonté des deux combattants. Le pirate ne s’inquiétait pas, il avait confiance en le fait qu’il faudrait bien ça pour la mettre au tapis !
Les poings d’Anémone furent les premiers à toucher leur cible… leur cible ? Pas exactement ! Dalvo, malgré l’activation de son fruit du démon, s’était concentré sur l’esquive de la puissante attaque de la Lieutenant et dans un pas arrière de dernière seconde audacieux il ne restait plus que le vide sous l’attaque d’Anémone. Le vide et la chaîne usée des menottes de Dalvo, usée par les mouvements brutaux de Dalvo, les pouvoirs du Gura Gura, les coups d’épée du capitaine Weaver et l’état décrépi de Mercana.
Trop usée.
Crac.
“CRUSH !”
Le poing libre de Dalvo fusa tel un boulet de canon en plein sur le crâne d’Anémone. Le temps sembla s’arrêter un instant alors que la puissance du coup et les ondes destructrices parcouraient son corps. L’instant d’après elle roulait violemment sur le sol à moitié solide à toute vitesse, propulsé par ce qui devait être le plus grand coup que Dalvo avait porté depuis son arrivée à South Blue. Elle roula, roula encore avant de finir par s’écraser contre des tonneaux qui volèrent en éclat en amortissant sa chute.
Le silence pesa quelques instants sur la scène alors que le public entier retenait son souffle. Mercana toute entière, ses citoyens, ses poivrots curieux de la fin du voyage du pirate, ses gardes impuissants, ses docteurs prêt à se délecter de la défaite de leur adversaire, son capitaine à l’honneur si fragile attendait de voir la Lieutenant de la marine se relever et mettre une bonne raclée à ce pirate.
Elle seule pouvait le faire.
…
Anémone ne se rélèverait pas de ce coup. Pas tout de suite du moins. Elle était peut être encore consciente, suffisamment pour étendre le silence qui ne demandait qu’elle, pour sentir son corps la faire souffrir, mais pas assez pour continuer le combat.
“WAHAHAHAHAHAHAN !”
Un rire démoniaque qui se délectait de sa victoire contre la justice et le bien venait de briser le silence face à la défaite de la dernière figure de l’ordre sur cette île, du moins c’est comme ça que certains se rappelleraient de ce rire.
En réalité c’était un rire soulagé ! Soulagé de pouvoir continuer son voyage un jour de plus, soulagé de bel et bien être le meilleur, soulagé de ne pas s’être trompé sur celle qui serait désormais sa rivale sur ces mers pour le titre de Numéro Un.
“Ne maudit pas ta faiblesse Anémone D. Victory ! Tu es forte ! Aujourd’hui est juste encore trop tôt pour affronter le Numéro Un de ces mers ! Rappelle toi de ce jour comme celui ou tu as failli attraper Dalvo D. Desperado !”
Lui-même à bout de force, couvert de blessure, les poignets usés par les menottes, le visage couvert de sang, les vêtements en lambeau, il semblait toujours plus grand que nature au milieu de cette foule qui venait d’admettre la défaite. A moins qu’il ne venait de devenir le symbole qu’ils devraient abattre ? Cela lui convenait aussi !
Le Big Tony venait de toucher un pont non loin et c’était là sa porte de sortie. Adieu Mercana, adieu archipel d’Antolimar et adieu Anémone D. Victory !
“Je t’attendrai Anémone D. Victory ! Je repars sur les mers prouver au monde que moi seul mérite le titre de Numéro Un mais aussi sûr que nous avons tous deux un D. dans notre nom, je sais que nous nous reverrons ! Je sais que toi aussi tu vises les étoiles ! Viens tenter de m’arracher une nouvelle défaite ! Viens me prouver que je ne suis pas le seul à voir les marches qui mènent au sommet de ce monde !”
…
“Anémone !”
…
“Je ne fais que prendre un peu d’avance ! Mais je n’attendrai pas bien longtemps ! Le Numéro Un ne ralentira jamais !”
D’un bond douloureux, il sauta à bord du Big Tony que les gardes de l’île quittèrent le pont aussi vite qu’il pouvait. Le crapotement de la fumée et le mouvement des roues à aubes s’amorcèrent alors que le Big Tony quittait doucement le port sous le regard muet des habitants de Mercana, incertain de s’ils avaient aperçu le début de quelque chose de grand, ou un simple pillard braillard.
Mais un grand homme a dit un jour que la volonté que l’on se transmet, les rêves des hommes et le cours du temps ne peuvent être arrêtés, qu’il en serait ainsi tant qu’il y aura des hommes prêts donner un sens au mot “liberté”. Ce jour-là deux belles âmes savaient qu’une nouvelle porte venait de s’ouvrir, le porte vers un futur qui devait encore être écrit.
Et c’est ainsi que débuta la légende.