Tu sembles calme. Paisible. Comme une étang. Pourtant, tu es comme un océan. Imprévisible, mystérieuse, à l’apparence trompeuse. Un océan riche en secret et en trésor, mais dangereux si on l’approche sans précautions aucune. Tes mots sont tranchants, francs, et la seconde d’après, deviennent mielleux pour mieux bercer d’illusions le pigeon qui t’aura trop fait confiance dès le début. Pourquoi es-tu comme ça ? La réponse est simple. La vie n’a pas été tendre avec toi, et ta confiance est devenue si rare à obtenir, que tu ne vois pas de personnes que tu peux considérer comme des amis. Tu as au pire, des collègues, des partenaires commerciaux. Raclures ou commerçants à la recherche d’informations, ceux sont tes connaissances les plus proches. Celles à qui tu es liée par une simple chose : l’argent. Les Berries rythment ton travail. On pourrait croire qu’il s’agit là de ta motivation principale. C’est ce que tu laisses paraître, par ton comportement et les bijoux qui ornent ta tenue, bien plus sombre.

Mais la vraie source de ta motivation est tout autre : la curiosité, dans sa forme la plus pure. Tout t’intéresse. T’intrigue. Titille ton esprit. C’est comme si tu sentais ton sang bouillir à l’apparition du moindre petit élément sortant de l’ordinaire ou bien même d’un simple sujet que tu ne connais pas encore sur le bout des doigts. On te considère, à cause de ça, atypique. Il y a de quoi. Tes yeux se mettent à briller, comme ceux d’un enfant, et tu poses mille et une question jusqu’à obtenir des réponses. Tu es même prête à mettre ta vie en jeu pour ça, en furetant là où on ne veut pas que tu furètes justement. Tu as du mal à te calmer, à retenir tes pulsions. Les années t’ont pourtant appris à dissimuler tout cela derrière une expression glaciale.

Et puis parfois, tu as besoin de te couper du monde et de tout ce qui peut être une source de distraction. Te concentrer sur tes créations, pour l’instant encore limitée aux eaux. Plonger au plus profond de l’eau. Laisser ton esprit se calmer, s’apaiser. Entendre ton cœur ralentir, doucement. Ses battements résonner dans tes oreilles. Tes idées s’organiser. Et les projets jaillir de ton imagination.

Mais je parle, je parle de ce que tu aimes Perle, mais pas de ce que tu détestes ! Et pourtant, il y a bien deux sujets, très précis, qui te mettent en rogne. Deux sujets sensibles, à ne jamais prendre à la légère avec toi. Le premier ? Les marchands d’esclaves. Pourritures immondes, seules personnes avec qui tu ne feras jamais affaire. Des hommes et des femmes qui arrachent la liberté à des innocents. Qui réduisent leur statut à celui de simples objets pour le plaisir des autres. Ce sont eux, qui mériteraient d’être enchainés, sans la moindre once de pitié. Qui mériteraient de souffrir mille morts. Ils sont la cible de ta rage la plus intense. Tes proies par excellence. Ceux que tu réduiras à néant, dès que tu en auras l’occasion.

Oh, le deuxième sujet ? Et bien ... Le gouvernement mondial. Incapables qui se font passer pour des héros. Une institution gangrenée de l’intérieur. Menteurs invétérés protégés sous une bannière prônant l’ordre et la paix. Des secrets trop longtemps dissimulés aux regards de bien des civils.
Oui, on peut résumer ça en disant que tu détestes les hypocrites et les personnes piétinant les plus faibles. Et que d’une manière ou d’une autre, tu les écraseras à ton tour. Parce que tu es comme ça. Rancunière. Intelligente. Déterminée.

Parce que tu es toi. Avec des défauts et tes qualités.

« Papa ! Papa ! On peut aller voir le ciel ! »

Son regard hésitant, posé sur ton adorable bouille innocente et tes grands yeux de biche. Cette petite bouille qui le fait craquer. Prendre des risques. Sa main s’aventure dans ta chevelure couleur neige, y met la pagaille, affectueusement, tandis qu’un sourire tendre étire ses lèvres.

« C’est d’accord ma chérie, mais pas longtemps, d’accord ? Et puis, tu ne dis rien à ta mère, elle va me tuer si elle apprend ça. »

Tu hoches la tête, vivement et puis vous nagez à toute vitesse en direction de la surface. Ta petite nageoire est bien lente. Trop lente. Les bras de ton père s’enroulent autour de toi, exerçant une prise ferme pour te garder contre lui dans votre ascension. Tes petites mains tapotaient sur son avant-bras avec empressement. Tu voulais les voir, encore, ces belles étoiles, points lumineux sur une toile sombre, invisibles depuis votre petit village, niché dans le corail.

Vos têtes arrivent enfin à la surface. L’air, pur, empli tes poumons en une fraction de seconde. Ton regard s’illumine face au spectacle nocturne. Ton rythme cardiaque s’accélère. Un seul mot s’impose dans ton esprit.

« C’est sublime papa ! »

Lentement, il te relâche, amusé et nage à quelques mètres rapidement pour te laisser de l’espace, et à raison. À peine libérée de son étreinte paternelle, te voilà à nager dans tous les sens. Ton rire emplis le ciel. Rejoins les étoiles. Le bruit de l’eau berce vos oreilles en rythme. Tu aurais pu rester là des heures durant, sans te lasser, l’esprit ampli de rêve en tout genre.

« Tu sais, un jour, je serais une aventurière ! Je voyagerais dans le monde entier ! »

Petit moment de silence de la part de ton cher père, face à ce rêve bien trop dangereux pour une enfant. Il sait à quel point le monde est dangereux. Le piège de la vie. Lui aussi, a voyagé. Les larges cicatrices sur son torse sont les témoins d’une époque d’un fougueux triton face au violent rejet des humains. Une réalité qu’il préfère garder secrète à sa tendre petit fille au cœur encore si pur. Son esprit divague, toi, tu es toujours aussi distraite par la beauté du ciel, tes mains qui s’agitent autour de collier perlé et puis, l’accident, simple maladresse d’enfance. La perle se décroche, plonge vers les profondeur. Précieux cadeau de ta mère sombrant, ton père se jette à sa suite, te criant de ne pas bouger d’une nageoire, le temps qu’il revienne.

Silence.

Un silence doux, paisible. La mer est calme. La surface de l’eau imperturbable, puis l’agitation, soudaine. Des vagues qui s’agitent, la silhouette d’un navire, sortie de nulle part, fonce droit sur toi à toute vitesse. La panique. Ton sang qui se glace, avant de se mélange avec l’adrénaline produite par ton corps. Un instinct de survie. Tu dois plonger. Fuir. Vite. Une seconde, et te voilà sous l’eau, à nager de toutes tes forces vers le fond, droit comme un piquet.

Une prise soudaine autour de ta gorge. La sensation glacée de la chaine d’acier lancée à depuis la surface. Le manque d’oxygène. La pression sur ton larynx. La douleur. La peur, qui te tord le ventre. Tu te sens tirée vers l’arrière. Tu n’es pas assez forte. Tu ne vas pas y arriver. La surface qui se fait de plus en plus proche.

« Papa !!! »

Un cri de désespoir, un nouveau silence, et puis, ton père, forçant vers toi à toute vitesse, l’air sévère, enragé, prêt à tout pour te tirer de ce terrible piège. Il s’approche, un peu plus chaque second. L’espoir fait son retour. Allège ton cœur. Ses mains agrippent les chaines, tirent ton petit corps à nouveau vers le fond, essayent de défaire tes liens.

Une détonation. Du sang. L’horreur. La lance de fer à traversé sa hanche. Un cri a brisé sa voix. Son corps a perdu sa force, a sombré, sans résistance. Ta voix aussi s’est brisé, en même temps que ton cœur, alors que dans un vif mouvement, tes agresseurs te ramenaient une bonne fois pour toute à la surface, te séparant définitivement de ton paternel.

Plus jamais tu ne le revis.


Le luxe tapissant le moindre recoin. Décorations d’or, porcelaine, marbre. Le moindre élément était assez précieux pour nourrir une famille au moins une année entière. Toi aussi, tu n’es qu’une décoration de plus dans ce noble tableau. Un joli poisson exposé aux yeux curieux des invités, et des propriétaires. Cela fait quatre ans. Quatre ans que ta vie se résume à cet aquarium, bien trop étriqué pour une créature de la mer. Tu nages, en rond, sans jamais t’arrêter. Danse hypnotisante, pour plaire à ceux qui te possèdent. Tu sais, ce qu’il arrive, à celles qui ne sont plus intéressantes. Un destin sombre, cruel, morbide. Un destin qui ne serait pas le tien. Ta nageoire d’un bleu vif contraste avec le doré décorant ta boite de verre. Tes gestes sont gracieux, délicats. De petite fille, tu es devenue jeune femme. Perle précieusement gardée. Décorée de parures. Voix d’ange appréciée. Spectacle de qualité pour des êtres qui ne voient qu’en toi un jouet de plus, qui perdra sa valeur le jour où il ne marchera plus selon leur souhait.

Heureusement, il est là. Un corps chétif, un regard timide, peureux, se posant parfois sur toi le temps du ménage qu’il réalise dans la pièce aux trésors. Au début, ce ne fut que de petits sourires, parfois échangés à l’échappée. Puis quelques mots. Et finalement de longues discussions. Un petit échappatoire à ta solitude. Mikael,  petit esclave humain. Ton ami. Arraché lui aussi à sa famille, à sa liberté. Il reçoit pourtant un traitement bien plus dur que le tien. Les bleus sur son corps en sont le flagrant exemple. Tu te sais chanceuse dans ton malheur. Tenue à l’écart des pires violences physiques.

Vous parlez de tout et de rien. De votre passé. De vos familles, pour être sûrs de ne jamais les oublier. De vos traditions. Vos passions. De vous. Parfois, il prend le risque de chaparder un livre, pour quelques heures, et profite de sa pose pour t’en lire le contenu. Tu t’accoudes alors au bord de ton aquarium, un grand sourire aux lèvres, le regard brillant, retrouvant pour quelques instants ta liberté à travers les pages noircies de mots.

Des moments précieux, à vos yeux.

« Merci Mikael ... Tu sais, les seuls moments où je suis heureuse, c’est quand tu es là. Sans toi ... J’aurais sans doute perdu l’envie de vivre depuis longtemps. »

Il s’arrête de tourner les pages. Une seconde de flottement, et son regard se glisse sur toi, calmement, tandis qu’un sourire se dessine sur son visage.

« Moi aussi Perle, j’aime passer du temps avec toi. Je te promets qu’un jour, on pourra les voir, tout ces endroits. On voyagera dans le monde entier. On sera libre, toi et moi. »

Un rire, un nouveau souffle d’espoir, qui gonfle ta poitrine.

« J’ai hâte alors ! Je compte sur toi pour choisir le meilleur itinéraire ! »


Les cris résonnent, de par et d’autres de l’immense manoir. Tu as chaud. Tu as mal. Tout brûle autour de toi. Tes poumons s’emplissent de l’ardente fumée. La rébellion a éclaté parmi les esclaves. La rage a tout détruit sur son passage, même la vitre de ta prison. Ton corps s’est écrasé au sol. Les éclats de verre se sont plantés dans ta chaire. Ton arcade sourcilière s’est teintée de rouge. Tu es perdue. Vas-tu mourir ici ? Abandonnée ? Chacun a fuit pour tenter de regagner sa liberté. La loi du chacun pour soi n’a jamais été aussi véridique.

Tu essayes de te trainer au sol, à l’aide de tes bras. Tes bras qui te font si mal. 14 ans. 14 ans passés dans un seule et même cage, à ne pas pouvoir nager plus de quelques mètres, et te voilà maintenant au sol, condamnée à être emportée dans les flammes. À quoi bon t’être battue toutes ces années pour survivre, si c’est pour finir ainsi ?

Ta vision se trouble. Le chaos brouille ton ouïe. L’air te semble de plus en plus rare. Tu vas mourir, sans avoir vu le monde. Sans même réussir à sortir de cette pièce.

Et puis une voix, que tu ne connais que trop bien. Cette voix masculine, qui t’a tenu compagnie pendant ta longue captivité.

« Perle ! Perle t’es où ?! »

Ta gorge te fait souffrir. Te donne l’impression d’avaler des lames chauffées à blanc. Pourtant ...

« Je suis là ! »

Le bruit des pas, une silhouette floue pour tes yeux embrumés par l’incendie, mais une étreinte rassurante qui te soulève de terre.

« Bouge pas, on va s’en sortir ! Je te le promets »

Tes bras s’entourent autour du cou du jeune homme, fermement. Tes yeux se ferment. Tout est flou. Effrayant. Pourtant, tu te sens rassurée. Sa course reprend, sans tarder, et après de longues années, enfin, qui quittes ton donjon doré.


Le feu dévore la petite embarcation. Les larmes dévalent tes joues. Ta voix se brise à hurler son prénom, en boucle, comme s’il s’apprêtait à sortit du brasier. La petite barque que tu tirais a explosé, cible de noble préférant détruire plutôt que de laisser fuir. Ton corps a été projeté contre une roche. Tes sens embrouillés par le choc. Pourtant tu sais. Tu sais qu’il n’a pas pu survivre. Non, pas à ça. Ils te l’ont enlevé. Arraché à une vie qu’il méritait. Même le ciel étoilé qui te manquait tant te semble désormais insignifiant. Risible.

La tristesse laisse place à la rage. Colère viscérale, qui te fait serrer le poing, autour de l’ancien pendentif que l’on t’a confié. Un jour, tu le vengeras. Promesse silencieuse à toi-même, dernier regard vers le tombeau ardent, et tu disparais dans les profondeurs de Northblue sans laisser de trace, tes larmes se mêlant aux flots.


Un rire, amusé. Des roues qui arpentent les rues d’une petite île de blue de glace. Ton visage est paisible. Ta nageoire dissimulée. Ta voix charmante. Tes lèvres peintes de rose. À croire que le passé n’existe plus.

« Alors comme ça, vous allez décrocher un gros contrat avec cette société de tissus ! Whaou, vous êtes si doué ! »

Viles flatteries, informations obtenues, voilà ta vie désormais. Ce contrat n’aura pas lieu. Non, tu balanceras ce projet au concurrent, et celui-ci prendra les devants. Tu tisses des liens, avec les puissants, petit à petit. Ton réseau se fait plus grand, mission après mission, jusqu’au jour où enfin, tu pourras tenir te promesse. Détruire l’infamie. Offrir la liberté à ceux qui en sont privés. Tel aurait été son souhait.