Certains élus, ont dans ce monde pourtant bien pourri, la chance de naître dans une famille aimante et capable de subvenir à leurs besoins. Ils connaissent bons comme mauvais moments au sein de leur petit univers, se plaignant du moindre problème qui puisse leur tomber dessus et se plaisant dans les situations les plus insignifiantes qu’il soit possible de vivre. D’autres, bien moins chanceux, n’ont le droit ni aux petits tracas du quotidien ni aux petits plaisirs de la vie, ils doivent simplement se contenter de survivre du mieux qu’ils puissent, sans même avoir le temps de réaliser à quel point leur existence est injuste. Le mystérieux gamin des ruelles de Toroa ne fait pas partie de la première catégorie.

Douglas “Left” Hook, pauvre enfant né sans moyens, s’est un jour réveillé en se faisant la promesse de suivre son instinct, celui-là même qui le pousse à survivre malgré la vie pourrie qui lui a été offerte. Ce vagabond suit scrupuleusement, depuis sa plus tendre enfance, un règlement que lui-même a érigé et qui lui évite de succomber aux pièges de la faucheuse. Fidèle à ses règles, Douglas s’est imprégné de ces principes et ne se définit plus que comme le parfait petit soldat de ses propres lois. Ainsi, pour apprendre à connaître ce gamin, il faut apprendre à connaître ses doctrines :

1. “Sois en permanence attentif, utilise tous tes sens, n’en arrive jamais au moment où il est déjà trop tard” - Douglas est un enfant prudent, malade de méfiance. Un sentiment qu’il ressent en permanence est le doute, aucune gentillesse fortuite ne sera acceptée, le jeune homme s’attend toujours au pire. Gagner sa confiance est une épreuve de patience, car “Left” n’est pas le genre de personne à se faire avoir facilement.

2. “Ne fais pas de promesses que tu ne peux respecter, les dettes sont le fléau d’une survie sans accrocs” - Conscient de sa situation, Douglas ne se permet jamais de mentir lorsqu’il est question de paiement. S’il sait qu’il ne sera pas en mesure de respecter ses engagements, il n’en fait pas, la dernière chose qu’il souhaite c’est d’être redevable envers quelqu’un, c’est trop de pression.

3. "Privilégie la prudence, réfléchis un minimum avant de faire quoi que ce soit” - L’immaturité est le défaut dont il ne faut pas s’armer lorsqu’on veut survivre, Douglas l’a très bien compris. Même lorsqu’il était bien plus jeune, il n’a jamais agi sans réfléchir ou s’il l’a fait c’est car le jeu en valait la chandelle. Cependant, prudence ne veut pas dire intelligence, et le gamin originaire de Toroa n’a effectivement pas la lumière à tous les étages. Il n’est pas impossible que même en respectant cette règle, il ne dise ou fasse quelque chose d’idiot.

4. “Agit sans scrupules, il n'existe pas de situation pire que la tienne, même en volant tu ne fais que rééquilibrer la balance” - La gentillesse n’a pas sa place dans le monde réel. Les rues sombres de son île natale ne laissent aucun répit à Douglas, alors il ne laisse aucun répit aux autres. Tout ce qui passe sous son nez finit dans sa poche, pour peu que ça en vaille la peine. Le vol, la violence ou tout simplement la méchanceté sont des armes comme les autres lorsqu’il s’agit de vivre, et notre bonhomme n’hésitera pas à s’en servir.

5. "Ne perds pas ton temps sur des trucs futiles, il y a plus important que ça" - La mode, le désir ou les goûts personnels en général ne l'intéressent pas, il ne peut pas se permettre de choisir comment il va s'habiller ou s'il aime ou n'aime pas tel ou tel plat. Douglas est dans une situation de crise, chose qui l'empêche de faire des caprices. Cela fait longtemps qu'il s'est affranchi de ses envies, tout ce qu'il est capable de vous dire c'est qu'il aime quand une journée n'est pas trop dure à vivre, et déteste qu'on le fasse chier.

6. “Tape. Tape vite et fort.” - Dès qu’il trouve du temps à s’accorder, Douglas le passe à s’entraîner, ainsi il est prêt comme il se doit pour ce que l’avenir lui réserve. Son corps frêle cache en vérité une certaine puissance qu’il met un accent à développer, c’est pourquoi vous apprendrez de lui qu’il est assidu lorsque cela est nécessaire, et qu’il fait les efforts qu’il faut quand il s'agit de se battre.

7. “Si jamais la situation se présente, oublie tous tes préceptes et barre-toi d’ici. Prends la mer” - Son rêve, aussi loin qu’il s’en rappelle, a toujours été de quitter son trou à rats. Douglas est quelqu’un qui souhaite simplement vivre une vie plus agréable, où il n’est pas seul, où il n’a pas faim et où il n’a pas froid. Si un jour il peut quitter Toroa, il le fera sans hésiter, même si cela veut dire aller à l’encontre de ses règles.

Douglas "Left" Hook est une coquille, se définissant uniquement par ce règlement. Le vrai enfant que sommeille en lui, personne jusqu'à maintenant n'a été capable de le réveiller, mais un jour peut-être, Douglas sera plus que ces simples lois contraignantes, il sera un homme tout à fait accompli qui aura trouvé sa place dans ce monde vaste et intrigant.

Cette fameuse soirée, qui restera à jamais gravée dans la mémoire de Léo, n’était pas censée se terminer comme ça, et pourtant, la mystérieuse force qu’on appelle destin avait déjà décidé de l’avenir de l’ancien pirate.

Léo Hook, ancien navigateur d’un équipage abordant un pavillon noir, pensait que cette nuit d’été serait destinée à son passe-temps favori, imaginer de nouvelles terres desquelles il dessinait les cartes, mais ses plans furent chamboulés avant même que cet homme n'ait le temps de terminer son travail. Léo s'était assis devant son bureau, situé au plus haut étage de sa maison délabrée, juste à côté d’une fenêtre en hublot qui lui laissait une vue approximative du ciel étoilé. Seul le crépitement des flammes occupait son attention auditive, avant que ces oreilles ne captent un autre son, bien plus éloigné, celui de trois coups bien placés qui firent vibrer sa porte et qui réveillèrent en lui sa curiosité. Par réflexe, l’homme jeta un coup d'œil à sa fenêtre et n’eut le temps de voir qu’une ombre disparaître au milieu de la rue semi-éclairée. Rapidement, le silence prit part dans la pièce, mais Léo ne pouvait plus se concentrer sur son travail, il devait descendre. Au fur et à mesure que ses pas progressaient dans les escaliers, la porte lui devenait plus distincte, dégageant une aura effrayante, ou alors n’était-ce que son imagination, qui le poussa à attraper son sabre, accroché au mur du couloir. Après avoir hésité encore quelques secondes, le cartographe décida enfin d’assouvir sa curiosité et ouvrit la porte d’un coup sec, pour ne trouver derrière elle qu’un vieux panier, dans lequel séjournait un bébé. Pas de coussin, pas de draps, à même la fibre d’osier se reposait un nourrisson qui malgré la situation ne versait pas une larme, et qui se contentait de fixer son nouveau gardien, désigné par le hasard des choses.

Pas plus cliché comme rencontre, et pourtant c’est le genre d’anecdotes qui n’arrivent qu’aux autres. Ce soir-là, c’était au tour de Léo Hook de prouver à l’univers qu’il ressentait en lui un minimum d’humanité, et qu’il était capable d’altruisme. Ce fut là, la première interaction entre Douglas et son père d’adoption, des années avant sa mort. Malgré le peu d’argent qu’il avait, ce sympathique navigateur que tout le monde connaissait dans la ville, avait été désigné par les parents irresponsables d’un gamin inconnu au bataillon comme le nouveau garant de celui-ci, et même dans une telle situation, il lui était impossible d’abandonner à son tour cet enfant. Il ne pouvait lui claquer la porte au nez, ni à lui ni aux problèmes qui viendraient dès à présent lui rendre visite.


Le gamin fut nommé Douglas, en l’honneur de l’ancien capitaine de Léo, mort en mer des années avant cette rencontre. Quant à son nom de famille, celui de son père adoptif semblait tout à fait adapté. Quelques jours passèrent, Douglas était calme et pleurait peu souvent, moins difficile à vivre que prévu. Quelques semaines s’écoulèrent, et Douglas fit d’énormes progrès, physiques comme mentaux. Quelques années disparurent dans les méandres du temps et en un clin d'œil Douglas n’était plus un si petit enfant.

Malgré le fait que ses parents respectifs ne semblaient pas vouloir de lui, Douglas ne fut pas si abattu en apprenant que Léo n’était pas son paternel. Faisant preuve d’une grande force d’esprit, ou simplement d’une maturité avant l’heure, Douglas ne considérait pas les liens du sang plus forts que ceux du coeur, pour lui, son seul père avait été ce navigateur qui l’avait recueilli malgré sa situation et c’est tout ce qui lui fallait. Avec qui partageait-il son ADN ? Peu importe, cette information futile lui paraissait inintéressante, pas besoin de savoir qui l’avait abandonné, il lui fallait juste savoir qui ne l’avait pas fait, et il le savait. Toute son enfance, Douglas fut un enfant calme et très silencieux, et il l’est même encore aujourd’hui. Il n’échangeait pas beaucoup avec Léo mais ils n’en avaient pas besoin, ils se comprenaient sans les mots ; à travers leur passion commune s’était établie une communication. Telle une maladie, l’amour de l’ancien pirate envers les cartes se répandit jusqu’à dans le coeur de Douglas, qui n’avait pas d’autres moyens de s’exprimer qu’en attrapant une plume et en tirant des traits sur des parchemins usés. Son premier projet fut de déssiner peu à peu la ville dans laquelle ils vivaient. Ce fut à ce moment-là que notre jeune protagoniste apprit à connaître les rues de sa métropole comme sa poche, et ce fut d’ailleurs grâce à ce savoir qu’il fut en partie possible pour lui de survivre dans le futur. Son existence se résumait donc à 4 pièces et 1 couloir ; le salon où il dormait, le bureau de Léo où celui-ci passait ses journées, la salle de bain attachée à une maigre cuisine et le couloir de l’entrée, que son père adoptif avait traversé quelques années auparavant avant de tomber sur lui. D’ailleurs, si Léo passait son temps devant sa fenêtre à dessiner des cartes, c’est car la maladie lui serrait le cou comme un serpent qui suffoque sa proie, et qu’à cause de cela, il était très limité dans ses mouvements. Douglas était pour lui le seul moyen qu’il avait de vendre ses oeuvres, de manger, de se laver ou tout simplement de sourire, car son fils adoptif rayonnait à ses yeux comme un soleil. Malheureusement, la suite semblait évidente. Ayant peu de moyens, Léo n’avait pas la possibilité de se soigner et il succomba lorsque Douglas n’avait alors que 14 ans.

Quelques années auparavant, en passant devant un chantier, le jeune homme avait eu le malheur de se placer au mauvais endroit au mauvais moment, tentant de rattraper l’une des cartes que Léo avait dessinées et qui s’était envolée à cause du vent. Un bloc de pierre lui était tombé dessus, et ses réflexes l’ont sauvé ce jour-là d’une mort certaine. Seule sa main droite fut écrabouillée, et même si le médecin de sa ville lui offrit des soins gratuits en raison de son âge, cela ne fut pas suffisant pour retrouver un usage complet de sa mimine, ni pour réparer sa peur. Ainsi, Douglas fut surnommé par son père “Left”, puisqu’il n’utilisait plus que sa main gauche, et sur son lit de mort, Léo lui annonça que c’était là, le seul héritage qu’il pouvait lui léguer.


Contraint par le déroulement des événements à un nouvel abandon, Douglas comprit ce jour-là qu’il n’était pas destiné à avoir une existence heureuse et qu’il serait toujours entouré de malheurs. Pourtant, quelque chose en lui le poussait à continuer d'avancer. Peut-être était-ce la maigre lueur d’espoir qui brillait en lui, mais ce qui est sûr c'est que cet enfant n'abandonna jamais l’idée de vivre.

Le jeune enfant que Léo laissa derrière lui vécu dans l’ancienne maison délabrée qui lui avait servi de refuge toute sa vie pendant quelque temps. Malheureusement pour lui, deux raisons l’empêchaient de vivre dans cette baraque. Premièrement, celle-ci lui rappelait beaucoup trop son regretté père adoptif et il était difficile pour cet enfant de gérer son deuil, et deuxièmement, même en vivant dans ce logement miteux il se devait de payer un loyer. Vous vous en doutez, il ne lui fallut pas longtemps pour être expulsé, n’apportant absolument rien avec lui, puisqu’il n’avait que peu d’affaires sans importance. Envoyé aux rues de sa ville, ce fut ainsi que notre cher Douglas vécut le reste de ses années, jusqu’à notre présent. Bataillant tous les jours pour survivre, fouillant les poubelles les plus sales et volant les plus imprudents. Il n’eut jamais beaucoup d’argent, mais cette vie-là fut bien plus difficile que la précédente. Une rancœur envers l’univers le rongeait de l’intérieur, il se sentait sale en permanence et n’avait que peu d’occasions de se laver. Une certaine nostalgie l’animait sans qu’il ne puisse rien y faire. Malgré tout, malgré qu’il soit victime d’un acharnement céleste, Douglas gardait en lui une flamme, qui le poussait à croire qu’un jour la roue tournerait de son côté et qu’il quitterait cette existence pourrie pour vivre de grandes choses. En attendant, seulement âgé de 17 ans, ce jeune homme vit en ermite depuis maintenant 4 ans, et aucune main ne s’est tendue vers lui pour l’aider.