Fendant les cieux clairs de West Blue, Gull vole. Il est le membre de l’illustre espèce des mouettes, mais pas n’importe lesquelles ! Il est en effet une mouette factrice ! Ces nobles oiseaux sont des membres essentiels au bon fonctionnement du quatrième pouvoir : la presse. Leurs existences consistent à aller d’îles en îles, distribuant les journaux et les lettres afin que le monde entier ne sombre pas dans l’ignorance et l’isolation. Une vocation importante que Gull remplit avec fierté, comme son père l’avait fait en son temps, et son grand-père encore avant. En soit, ce job est assez plaisant. Il vole, par-delà les mers, est gratifié de quelques friandises avant de reprendre sa tournée après avoir déposé son fardeau et en récupérer un nouveau. Notre facteur à plumes, aime vivre une vie simple, vivre d’air pur et d’eau fraîche, d’un peu de chasse et de pêche, sans que jamais rien ne l’empêche d’aller plus haut. Son emploi lui offre cette liberté, mais ce n’est malheureusement pas de tout repos non plus ! Les mouettes factrices ne se croisent que rarement dans leurs tournées. Il vole seul dans les cieux, qui régissent la majorité de son existence. Une vie de loup solitaire lui donnant parfois l’impression d’être seul dans l’univers. Une vie qui, parfois, l’effraye. Il a peur du ciel, qui peut être une cruelle maîtresse aux vents violents et bourrasques fourbes. Il a peur de l’hiver, qui gèle ses plumes et rend ses journées bien trop courtes. Il a peur des fous, pirates et autres criminels qui espèrent lui voler son fret (ou tout simplement le manger). Il a peur des guerres et des terribles nouvelles qu’elles amènent dans leurs sillages, des pleurs et cris de douleur pour des êtres perdus à jamais. Mais plus que tout, il a peur du temps qui passe. C’est que le monde avance et change, dans une course furieuse et bruyante. Il se souvient, petit oiseau dans la sacoche de son père, que l’air était plus pur, que le courrier plus nombreux. Mais aujourd’hui, les gens ne s’envoient que rarement des lettres, usant de ces fichus escargophones pour communiquer directement, plus simplement. Foutus escargophones qui, lentement, mais sûrement, lui dérobent sa raison d’être. Gull s’estime heureux, lui a encore du travail, mais quid de ses enfants ? Pourront-ils, comme lui et leurs ancêtres, voler dans ce ciel si bleu avec leurs sacoches pleines de nouvelles ?
Alors qu’il tire sur sa cigarette, ses réflexions sur la vacuité programmée de son existence furent arrêtées brusquement dans leurs cheminements. Un bruit sourd. Un geyser d’eau, de sang et de bille. Habillement, l’animal glisse sur le côté pour esquiver l’étrange phénomène. Son regard d’oiseau de proie capte bien plus bas, à la surface de la relative calme West Blue, une vision singulière et horrible. Une baleine insulaire, d’une taille gargantuesque, véritable île vivante, qui roule sur elle-même. Elle souffre, pousse de grands râles déchirants, tousse et vomit avec force dans la mer et dans les airs. Mal assuré, Gull descend des cieux, captant l’attention de l’immense bête en battant des ailes à quelques mètres devant l’un de ses yeux. Il pousse quelques cris de détresse, de sa voix de mouette éraillée, répondu par un long râle de peine et une toux violente. Les animaux se comprennent. L’instinct et une certaine empathie transcendent les besoins d’un langage partagé. La baleine a quelque chose en elle qui la déchire, la tue même, en la faisant suffoquer et elle n’arrive pas à déloger ce corps étranger et douloureux de ses entrailles. Gull, tout naturellement, lui propose son aide qui est acceptée par le titanesque animal. Il prend son envol, Monstro se tord et ouvre grande sa gueule, véritable gouffre de chair se détachant de l’étendu verte et infinie les entourant. Sans attendre, la mouette s’engouffre dans cette gueule, glissant entre les reflux et odeurs de cet être en peine pour l’aider à déloger son mal. Il ne lui fallut que peu de temps pour trouver le coupable : des carcasses de navires se massent les unes contre les autres dans ce qui doit être la séparation de l'œsophage et la trachée. Des ruines coincées malgré la puissante gorge cherchant à les défaire de là. Gull virevolte, en quête d’une idée pour défaire cet amas dangereux. Son regard vif est rapidement attiré par quelque chose d’étrange et n’ayant rien à faire là. Une sphère d’une couleur orange, coincée avec les restes de navires. Il s’approche, se pose sur cet objet bizarre et creux d’après les bruits qu’il produit après quelques coups de bec. Il a beau avoir parcouru cette mer en long et en large, il n'avait jamais vu ce genre de truc. Il tire une longue bouffée de tabac, observant un peu plus la situation. Visiblement, cette boule est, comme une clé de voûte, ce qui maintient les différentes parties de navires qui forment ce bouchon. Il faut donc s’en débarrasser, si la sphère saute, tout le reste suivra et la pauvre baleine sera sauvée. Ajustant sa casquette, Gull se prépare à accomplir la tâche dantesque qui l’attend. Sa sacoche pleine de journaux, lettres et avis de recherche bien accrochée à son dos, il prend de l’élan dans les airs pour fondre sur cette chose.
POC.Il rebondit contre la dure surface orange, glisse et se retrouve au sol. Un peu sonné, il pousse de grands cris railleurs et picore, sans grands effets, ce terrible obstacle. Il picore, alors que sang et bile se répandent entre certaines failles de cette structure, l'immergeant en partie. Il raille, encore et encore comme pour provoquer cette sphère, en vain. Peine perdue, il est bien trop petit et faible pour arriver à faire quoi que ce soit. Rageur, il met un énième coup de bec à cette chose avant de battre ses ailes pour prendre son envol.
BAM. Elle a bougé. Juste un peu. Dans un bruit fracassant. Interdit, Gull se pose dessus, assène un autre coup de bec…
BAM ! BAM ! BAM ! La boule vibre sous des impacts invisibles qui renversent l’oiseau.
BAM ! BAM ! BAM ! Ce n’est pas la boule qui tremble, mais tout l’amalgame d’épaves !
BAM ! BAM ! BAM ! BAM ! La gorge de la baleine réagit aux impacts de plus en plus violents. La mouette a, l’espace d’un bref instant, l’impression d’être prise au piège dans un volcan se préparant à entrer en éruption. Ses sens s’aiguisent alors que son corps essaye de l’emmener loin d’ici.
BAM ! BAM ! BAM ! ▬ Crève putain de singe ! BAM ! BAM ! BAM ! ▬ KEKEKEK ! BAM ! BAM ! BAM ! ▬ CRÈVE ! BAM ! BAM ! BAM ! Gull ne comprend rien, il entend des voix à travers les plaintes et les craquements du bois, les tremblements et râles de la gorge titanesque, les gargouillis des fluides gastriques se mélangeant au sang. Il bat des ailes, horrifié de voir son plumage couvert de l’effroyable liquide qui imbibe et alourdit ses plumes.
▬ CRÈVE !BAM !
▬ KEK !
▬ CRÈVE !BAM !
▬ KEK !
▬ CRÈÈÈÈÈÈVE !BAM !
▬ KEKEKEK 'CO' 'CO' 'CO' !
Un moment de calme, quelques secondes, comme l'œil d’une tempête que le facteur aillé n’arrive même pas à comprendre.
BAM !
La boule orange part, tel un boulet de canon, emportant Gull avec elle qui s’accroche autant qu’il peut sans la moindre prise sur cette fichue chose. La clé de voûte n’étant plus, s’en est assez pour le cétacé qui dans un râle caverneux et guttural laisse le contenu de son estomac s'échapper dans une véritable marée. Elle dégobille la bile. Régurgite les ruines ayant trouvé un gîte en elles depuis des décennies. Gerbe, la boule, l’ours, la courageuse, l’homme-poisson, l’oiseau et le dégénéré imberbe. Les eaux de West Blue souillées par l’infâme contenu de cette pauvre créature marine qui, exténuée, se laisse flotter, sur l’eau et au bord de l’inconscience. Vide, enfin. Plus de douleur. Enfin. Son corps grotesquement grand gît là, sur les vagues, se mouvant légèrement aux rythmes de sa pénible respiration. Gull est confus. Confus, car il est vivant, étalé et couvert de sang et de sucs sur cette boule orange qui flotte joyeusement au milieu de tout ce chaos. Confus, car de cette sphère, jaillis une tête d’ours étrange qui l'observe tout aussi confus. Confus, car face à eux, sur le dos de Monstro, se tiennent deux figures vaguement humaines. Un homme poisson et un ado. Couverts de plaies et de sang. L’homme poisson a perdu une main, un œil, une partie de sa joue, de son cou, de son avant bras et de son mollet en plus de plusieurs brûlures assez graves. Il n’est pourtant pas forcément celui dans le pire état. L’enfant se tient debout sur des jambes brisées, les articulations de sa jambe droite se plient dans des angles improbables tandis que l’os de son fémur transperce la chair et la peau de sa jambe gauche. Son bras gauche est dans un état horrible, réduit en charpie comme si quelqu’un s'était amusé à le tourner encore et encore dans des sens naturellement impossibles. Son torse montre des plaies ouvertes bien circulaire, de-ci de-là d’où le sang coule avec abondance. D’ailleurs, ce corps est partiellement enfoncé sur tout le côté droit, comme si sa cage thoracique n’avait été qu’un bout de tôle déformé par un impact trop puissant. Lorsqu'elle n'est pas couverte de sang, sa peau est brûlée ou à vif. Son nez est brisé le forçant à respirer à travers une mâchoire béante, déboîtée, aux crocs brisés et à la langue sanglante et pendouillante. Une partie de ses cheveux a été arrachée avec le scalp dessous, dévoilant un crâne fissuré à la vue de tous. Toute la partie gauche de son visage est enflée si bien qu’on ne voit plus l'œil de ce côté. L’autre ? Un iris rouge dans un océan de sang. Il ne regarde pas directement la personne face à lui, son œil unique divague et fixe un point invisible, sans doute est-il aveugle. Sa respiration est aussi pénible que celle de la bête sur laquelle ils se tiennent, sifflante et gargouillante d’un sang qui s’échappe de sa gueule cassée. Il tient debout, malgré tout, son corps pulsant visiblement sous des vagues de douleurs qui doivent être insoutenables.
▬ Foutu… Singe… Entre deux bouffées laborieuses, l’homme-poisson crache son fiel. Il n’obtient pour seule réponse qu’un bruit cassé qui se veut être un rire dément. La chose en sang fait un pas en avant, s’écroulant à cause de jambes ne pouvant soutenir le poids d’un corps se mouvant. Il est inerte, là, couché sur le monstre marin.
▬ … Bien… Maintenant… Le regard de l’homme poisson vint se fixer sur Gull, l’ours et la boule. Un regard noir, un regard de mort qui paralyse le pauvre oiseau qui n’avait rien demandé à personne et se retrouve catapulter dans le dernier acte de notre incroyable aventure !