Noée Hoslow
P a r a s i t e ...
Entrée n°0.5
Voilà plusieurs heures que le bruit de mon stylo accompagne celui des réactions chimiques contenues dans diverses verreries, le tout, rythmé par mon souffle bruyant. Je rédige d’une calligraphie experte diverses formules et annotations du mon carnet de recherche, un épais palimpseste tiré d’une bible ou quelconque livre religieux, dont les écritures ont été grattées par quelques enfants volontaires. Le passé n’a aucune importance à Flevance après tout, car c’est le futur de l’île qui se joue. Nous devons tous nous tourner vers le futur ou cette île sombrera. Je me surprends souvent à me demander combien d’îles, comme Flevance ont été abandonnées par le gouvernement mondial. Deux ? Trois ? Une dizaine ? Je serais curieuse de connaître le résultat mais, à cet instant, mon esprit est absorbé par mon travail.
Mh … Mg3Si2O5(OH)4 … sérieusement ? Le résultat à encore changé tsss…
Je râle d’une voix masquée par ma protection respiratoire. Ma cinquième expérience consécutive cherchant à comprendre la nature exacte du blanc de Flévance est de nouveau un echec. Néanmoins, les informations que j’en tire valent bien les précieuses ressources que toute cette entreprise m’a coûté. Puis, alors que je repose mon stylo, je fait craquer tout les os de mon corps dans un spasme serpentin. Cela doit bien faire cinq heures que je rédige sans discontinuer et ma silhouette frêle me le fait ressentir. Tant pis, les études d’acidité de l’eau attendrons.
D’un mouvement de bassin, je fais glisser mon siège à une extrémité de la pièce pour pousser la fenêtre du bout de ma canne. Je dois aérer ce laboratoire ou sinon toute la pièce risque d’être saturée. Ce n’est pas bon pour mes filtres. D’un mouvement pénible, je me redresse en m’appuyant sur ma canne avant de me diriger vers l’entrée. De l’autre côté de l’épaisse porte, un hôpital de campagne ou résident de nombreux contaminés. Les gens se tournent, me saluent avec respect et bienveillance alors que je me vide un seau d’eau sur le corps. C’est important de faire tomber toutes les particules contaminées le long de la rigole qui longe les murs. Je m’avance silencieusement, simplement accompagnée par le claquement irrégulier de ma canne, formant une mélodie dissonante dans ce lieu à l’acoustique si parfaite. Chaque mètre est douloureux. Chaque mètre est long. Au bout de longues secondes, je m’assieds sur l’un des nombreux fauteuils de l’église, face à un couple de patients.
Je ne vous ai pas vu depuis quelque temps, j'espérais qu’il en serait toujours ainsi. Qu’est ce qui vous amène ici ?” dis-je d’un ton se voulant rassurant.
Les gens m’observent, inquiets mais souriants. Peu de gens savent réellement à quoi ressemble le docteur Hoslow. Je suis une figure anonyme, un masque à gaz monté sur un corps déformé. Je comprends donc cette angoisse qui prend aux tripes lorsqu’un spécialiste dans ce genre d’accoutrement se présente à soi.
Euh … c’est notre fille elle fait que se plaindre de sa tête, elle se sent toute faible et elle à de la fièvre … on à peur qu’elle ai attrapé le mal de Flévance elle aussi.
Mh. Une inquiétude souvent fondée sur ces terres. Je demande donc d’un signe de main à la jeune demoiselle de s’avancer. Sans dire un mot, j’observe ses yeux, sa bouche, ses oreilles, je surveille son rythme cardiaque, sa température, sa respiration. Ses paupières sont enflées, elle est couverte de rougeurs mais aucune trace de saturnisme. C’est une grande nouvelle de savoir qu’il existe encore des enfants sains sur cette île. Néanmoins, je saisi rapidement que toutes mes règles de sécurité sanitaires n’ont pas été respectées. Je ne suis qu’une humaine, je suis incapable de traiter tout les bobos de l’île tout en prenant soin de mener mes recherches à bien. C’est pourquoi je veille à transmettre des règles claires concernant l’alimentation, le stockage de la nourriture, l’utilisation de l’eau, la gestion des déchets. Ma communauté est soumise à mes règles, c’est le seul moyen de tenir.
Bon … et bien je peux vous affirmer que ce qui arrive à votre fille n’est pas mortel. Du moins, pas pour l’instant.
Les regards horrifiés des jeunes parents se tournent vers moi.
Est-ce que quand tu va aux toilettes ça bouge après ma grande ?
La petite fille hoche la tête.
Qu’est qui m’arrive docteur ?
Je réfléchis quelques minutes, passant en revue tous les parasites que je connais.
Dit, tu connais l’histoire de boucle d’or et les trois ours ?
La petite fille hoche la tête.
Et bien maman et papa ont acheté de la viande de papa ours à un braconnier, ce qui n’est pas bien et tu as une trichinellose. Mais ne t’inquiète pas ! Ça se soigne très bien. On va tuer les petits vers de terre dans ton ventre en leur faisant manger du poison, tu veux bien ? dis-je d’un ton doucereux.
La petite fille, les parents, les gens aux alentours. Tout le monde semble horrifié par mon tact inexistant. Pourtant, je suis simplement agacée. Si les gens étaient capables de suivre toutes mes directives, il n’y aurrait aucun problème. Les seuls malades seraient ceux liés aux virus, aux morsures de rats, au saturnisme et aux blessures de guerre. Pas d'infection liée à la nourriture, pas de champignons, pas de parasites … Tant pis ! Je suppose que le traitement sera suffisamment dégoutant pour faire passer l’envie aux parents d’acheter de la viande provenant des bois.