« song of storms »

L'île de Toroa. Sigurd ne savait pas réellement comment l'équipage avait réussi à arriver à destination. Sans réels navigateurs à bord, les virées du trio nouvellement formé se résumaient à des engueulades, à des tentatives d'explications débiles et à des idées qui n'amenaient qu'à virevolter à travers les eaux. Mais dieu seul savait comment, et heureusement qu'il était là, voilà que le navire emprunté-mais-en-fait-volé-mais-en-fait-ta-gueule était arrivé à bon port. L'île de musique, de fête, où les instruments qui marqueraient les concerts de West blue et d'ailleurs naissaient des mains d'artisans de qualité. De quoi passer de bons moments, mais surtout, un endroit parfait pour acheter quelques petites ressources qui permettront de mener l'équipage composé de bric et de broc et de bras cassés vers un sentier de gloire. Ou au minimum, pas sous l'eau. Déjà un bon début.

Le duo qui visitait ainsi l'île musicale était composé de Sigurd, Capichef de circonstance (parce qu'il était le seul à avoir une gueule qui faisait un peu peur), Cyborg de son état. Et en deuxième, le dernier arrivé, mais pas le dernier servi : Rami, étrange homme-rat rencontré lors d'un passage forcé dans les souterrains d'une ville minière. Le rongeur s'était littéralement invité sur le navire, "son" navire d'ailleurs si on l'écoutait parfois, dans lequel il entreposait du fromage à droite à gauche tout en se faufilant dans les moindre recoins de la bicoque. Malgré tout, Sigurd devait bien avouer qu'avoir une nouvelle âme sur le navire pour l'accompagner lui et Léandra était assez agréable, donc il passait outre les quelques caprices de l'étrange créature... Malgré les réticences de la mécanicienne.

En-tout-cas, c'étaient bien ces deux-là qui foulèrent le sol de l'île, là où la jeune femme aux cheveux bleus s'improvisait charpentière pour tenter de réparer du mieux qu'elle le pouvait le navire, laissant le loisir aux deux hommes de s'approvisionner sur l'île aux musiciens.

« Fais gaffe à pas partir trop loin, Léandra serait capable de se casser sans toi si tu ne te ramènes pas à temps. »

Lança-t-il, un léger ricanement ronflant le long de sa trachée artificielle comme un écho contre des parois rocheuses. Un sac vide sur le dos, une bourse contenant quelques berrys arrachés lors du voyage où ils pouvaient, et voilà qu'ils pouvaient s'engouffrer dans la ville et voir derrière eux disparaître le navire derrière les grands bâtiments que formaient l'endroit.

De la nourriture, de l'eau, et si possible quelques babioles avec l'argent qu'il restait pour retaper le navire ainsi que Sigurd lui-même, voilà ce qu'il devait acheter. Mais en vérité, c'était bien des cigarettes dont rêvait Sigurd. Très malheureusement, aucune chance de trouver sa marque favorite, surtout une version contenant le fameux anti-douleur lui permettant de mouvoir son épais corps d'acier avec aisance. Il était néanmoins prêt à tester toutes les marques des quatre mers pour trouver l'élue de ses poumons, qui arriverait à reproduire au maximum la qualité de son créateur de cancer favori.

Les regards se posaient, assez souvent, sur eux. Après tout, si Sigurd avait l'habitude de trancher avec les peuplades locales, de par sa taille de géant, ses muscles (littéralement du coup) d'acier, et sa tête de revolver, il était désormais accompagné d'une petite créature. Une petite créature suractive au regard vicieux et aux mimiques explosives, qui réduisaient à néants toutes tentatives de discretion... Fallait s'y faire.

Tout d'abord, le Rüstung fut attiré par un petit étal, contenant des marchandises diverses. Dont... du coup... des cigarettes. S'empressant de s'approcher de l'échoppe mobile, poussant au passage quelques habitants de l'île qui s'échappèrent rapidement face au Cyborg, Sigurd tenta de comparer le paquet présent dans sa poche avec ceux en vente... Sans trouver d'équivalence. Il ne s'attendait à rien, mais il était quand même déçu. Mais seulement pour un temps, alors qu'une douce musique jouée au violon attira subtilement son attention, le Colt se retournant alors pour en observer le compositeur.

Ou, plutôt, ici, la compositrice. Une jeune femme bien habillée, agréable à l'œil, qui offrait une délicieuse prestation musicale devant un petit paquet d'auditeurs assidus qui buvaient chaque note qui s'échappait de l'instrument. Légèrement curieux, le Colt s'approcha ainsi de l'artiste, applaudissant doucement la prestation. Ce n'était pas vraiment par chez lui qu'il pouvait observer ce genre de choses.

« Bravo. C'était très joli. »

Il avait bien le droit de faire une peu de tourisme, tout en faisant ses courses, non ? Pour le coup, il en oubliait presque la présence de Rami. Il espérait que le petit diable n'allait pas s'élancer dans des choses qu'ils risquaient de regretter...

« song of storms »

S'il y avait bien une chose qui ne changeait pas énormément pour le Cyborg depuis son départ de son île, c'était le regard des gens. Cette impression d'être observée, jugée, pour cette apparence singulière qui contrastait tellement avec la masse d'âmes qui s'accumulaient. Voir un homme à tête de révolver, dépassant les deux mètres de haut, dont chaque pas résonnaient contre les dalles de pierre comme des masses s'écrasant contre le sol, forcément, ça ne donnait pas réellement envie de s'y attarder. Mais avec l'habitude vint le désintérêt, et Sigurd n'en tenait pas compte. Même si les regards et les réflexions étaient ici plus violentes. Après tout, chez lui, les prothèses mécaniques et golems d'aciers étaient bien plus acceptés, appréciés, habituels. Pour eux, c'était sûrement la première -et seule- fois qu'ils pouvaient poser leurs regards sur un être fait d'acier, de rouage, d'essence.

Pour le coup, l'homme s'attendait à la même réaction de la part de la musicienne qui s'adonnait à son art délicat, attirant les passants envoutés par les doux sons qui s'échappaient du violon. Il s'apprêtait déjà à se confondre en excuses, et à tenter de rassurer la masse quant au fait qu'il était bien humain. Mais ce fut quelque chose de tout-à-fait différent qui se passa, de plus intéressant, de rassurant, même. Sonique s'approcha alors de lui, l'observant sous toute ses coutures, d'une œillade pétillante et curieuse, ses yeux n'exprimant aucune peur, aucun sentiment négatif.

Tout d'abord, Sigurd en fut rassuré. S'il pouvait sourire, il le ferait, mais on pouvait voir très clairement à cet espèce de soupir de soulagement qu'il appréciait l'attention accordée par la jeune femme. Avant de s'en sentir même légèrement gêné, reculant d'un demi pas, alors que son barillet commençait à tourner de lui-même, comme pour exprimer cet espèce de retenue qu'il ressentait avec les personnes de l'autre genre, même si le Golem ne savait en rien que Sonique n'était pas celle qu'elle prétendait être. "Mon chou", disait-elle, d'ailleurs. Bon dieu, lui qui mettait de l'effort à paraître un minimum honorable et viril (autant que peut l'être un homme à tête de pistolet), il devait en plus se voir affublé d'un surnom de ce genre. Bon dieu, de bon dieu.

« Ehm... C'est euh... normal ? Je suppose ? »

La Musicienne tendit alors sa main, très clairement dans l'optique de se voir offrir un baise-mimine de l'ancien temps. Des doigts fins à la manucure colorée impeccable, la paume vers le bas, le barillet tourna soudainement plus vite avant qu'il n'attrape maladroitement la main de Sonique, pour la secouer de manière peut-être un peu trop violente. Il ne ressentait pas sa force, parfois.

Au moins, avec tout ça, Sigurd arrivait à ne plus ressentir les regards des autres, qui semblaient néanmoins très étonnés de la réaction de la musicienne, qui agissait avec le Cyborg comme elle agirait avec n'importe qui d'autres. Certains étaient néanmoins inquiets, prêts à appeler de l'aide si jamais le tout partait dans un mauvais sens, ou quelque chose du genre.

« Eeeh. Vous êtes sûr de pas être aveugle, ou quoi que ce soit ? Mon nom est Sigurd, sinon. Et oui, je suis de passage sur l'île. »

Pas besoin de mentir, et de toute manière s'il devait s'imposer cet effort, mélangé à la gêne, ça ne passerait pas du tout. Il retira alors sa main comme si celle de sonique était brûlante comme un brasier incandescent, avant de tousser doucement contre son poing fermé, alors même que son épaisse bouche d'acier ne bougeait pas.

« C'est tout de même assez rare de voir quelqu'un qui ne prend pas peur quand il me voit pour la première fois, j'apprécie. »

Pour se donner contenance, le Cyborg attrapa le paquet de cigarette qui trônait dans la poche arrière de son pantalon, laissant s'échapper l'un des bâtonnets de nicotine d'un léger coup pour la glisser contre sa bouche de fer, et de l'allumer d'un coup d'allumette.